Interrogation Quelle question peut-on poser à un enfant qui dit être né dans un immeuble et dont la seule famille a été la rue ? Nous avons surpris la bande autour d?un feu, fraîchement allumé devant les ordures du marché Clauzel, à Audin. Notre arrivée n?est pas la bienvenue ; de nombreux délinquants prennent la fuite, même si Nacer Dib, le président de la Fondation des droits de l?enfant, tente de les calmer, de les rassurer. Ils ont peur des caméras et des flashes des photographes et puis l?on dérange surtout leur intimité, l?on tente de pénétrer leur monde, de les démasquer. Nacer Dib, ou Cheikh comme l?appellent ces jeunes, réussit à les convaincre enfin de témoigner. Salah a 20 ans. Sur son visage basané et dans ses yeux noirs, se dessinent des années d?errance, des douleurs muettes et une solitude atroce. Il porte un jogging gris sale. Salah est né dans un immeuble, il a vécu et grandi dans la rue. Il a longtemps erré avec sa mère. «Ma mère s?est disputée avec mon père qui vivait en France, celui-ci voulait m?abandonner, ma mère a refusé, elle a été contrainte de revenir en Algérie et vivre dans la rue avec moi. Elle ne voulait pas me laisser. J?ai trois frères qui vivent à Paris», raconte-t-il les mains dans la poche. Il est peu bavard. Une telle présence l?intimide, ce n?est pas facile de déballer sa vie devant un parterre de journalistes. «Je dors sous les arcades de Bab El-Oued. Ma mère est morte en janvier dernier, elle avait 51 ans. Je ne sais pas de quoi elle est morte. Je suis sans papier et je ne peux rien faire, je suis condamné.» A ses côtés, est assis Mohamed, 23 ans, le visage bistré et des yeux noisette. Même si ce jeune reste évasif et méfiant, l?on comprend qu?il s?est enfui de chez lui d?Alger pour des problèmes familiaux, un conflit avec le père. La drogue, l?alcool, les cachets sont sa devise. Fouzi, 18 ans, enfant de La Casbah, qui vit dans les regards turcs, sous la ville d?Alger, refuse tout commentaire. Il tient tête aux journalistes et réagit violemment à nos questions. Chaque soir, ce sont les retrouvailles avec les amis dans ce coin chaleureux, l?on parle de tout et de rien. Du passé, de l?avenir, des blessures, des vols commis, des délits.