Gregory P. est noir, originaire des Caraïbes. Il appartient à une famille pauvre. Ce qui rend la situation encore moins supportable, c'est qu'il est pauvre à New York. Il commence donc sa vie en maison de redressement. Il n'en sort que pour apprendre la mort de sa mère, la seule personne qui l'aimait vraiment. Morte d'une crise cardiaque. Gregory n'a pas vingt ans. Heureusement pour lui, il a une s?ur qui possède le sens de la famille. Elle accepte qu'il emménage avec elle. Les conditions de vie sont inconfortables mais enfin, c'est un toit pour dormir, pour mener une vie décente. Gregory trouve un emploi de coursier. Il gagne mal sa vie, d'autant plus qu'à vingt ans, il est déjà papa. Gregory a un complexe physique : il est affublé d'une superbe paire d'oreilles qui se terminent en pointe comme celles de Peter Pan. Dans le quartier, on trouve plutôt qu'elles lui donnent l'air satanique et on le surnomme «le diable». Lorsqu'il perd son emploi et ne peut plus du tout participer aux frais du ménage, sa s?ur qui a, elle aussi, des problèmes, lui demande de libérer les lieux. Comment Gregory peut-il s'en sortir ? La solution est simple : écumer le métro, et particulièrement la ligne D qui relie Brooklyn à Manhattan. En quelques jours, toujours entre 20 heures et 4 heures du matin, Gregory et sa petite bande de copains commettent plusieurs vols à main armée. Je vous déconseille de commettre ce genre de méfait si vous avez de grandes oreilles en pointe, aussi étonnantes que le nez de Cyrano de Bergerac. C'est un détail qui frappe les victimes. Gregory, recherché, devient vraiment nerveux. La presse s'intéresse à son cas. Le fait de posséder deux grandes oreilles démesurées peut-il pousser un homme à la délinquance ? Une dame charitable, mais anonyme, écrit aux journaux pour suggérer à l'hôpital de New York qu'on retaille les oreilles de Gregory. Sa proposition reste sans suite car elle ne joint pas à sa lettre le chèque qui couvrirait les frais de l'opération. Les Américains ne bénéficient pas de notre système de sécurité sociale. Gregory qui, semble-t-il, ne supporte plus de se voir dans un miroir, est vraiment d'une humeur de chien. Un soir, sur la fameuse ligne D, il a un coup de fil urgent à donner. Un inconnu occupe un peu trop longtemps la cabine, Gregory lui tire une balle dans la tête. Gregory a une petite amie qui, déjà, est enceinte de ses ?uvres ! Gregory, pourchassé, l'abandonne et se réfugie chez une autre de ses petites amies, en Géorgie. Celle-ci n'est pas rancunière, mais c'est chez elle que l'on viendra arrêter le «diable de la ligne D». La Fondation nationale pour la reconstruction faciale américaine commence à s'intéresser à son cas... Elle possède dans ses bâtiments une aile entière réservée au prisonnier et aimerait savoir si le fait de retailler les oreilles peut changer la mentalité d'un délinquant déjà endurci, en lui faisant mieux accepter sa propre physionomie. En éteignant en lui le sentiment de révolte permanente qui en fait un asocial. Le fait de lui retailler les oreilles pourrait-il surtout procurer des moyens d'existence décents à un garçon de vingt ans déjà père de sept enfants avec six mères différentes ? D?après Pierre Bellemare