Charles, cinquante ans, est cuisinier dans une école des neiges, située dans une jolie station de sports d'hiver. Il est seul dans la vie depuis quelques années. Il est, de l'avis de tous, excellent homme, professionnel apprécié, mais jaloux, coléreux, impulsif. Trois éléments parfaits pour constituer une bombe psychologique, du genre de celles qui détruisent tout autour d'elles. Est-ce pour cela qu'il est seul ? Pourtant, depuis quelques mois, Charles a toutes les raisons de reprendre espoir. Il «fréquente» une femme de son âge, quarante-neuf ans, qui travaille non loin de là, comme femme de service, et qui vit tout à côté. Renée a décidé de fêter ses quarante-neuf ans et, comme de juste, elle a invité Charles. Mais elle commet une grosse erreur : elle invite aussi un autre homme, un de ses amis. On trinque, on grignote, et l'ami, qu'on attend ailleurs, prend congé après une dernière bise à Renée. Charles n'aime pas ça, pas du tout : ni les bises ni la présence de cet intrus. Comme il est jaloux, donc paranoïaque, il a vite fait d'en tirer des conclusions hâtives. Renée essaie de le calmer, de lui expliquer que ses idées sont saugrenues, elle rit en se forçant un peu, ce qui ne fait qu'augmenter la colère jalouse de Charles. Puis elle rit un peu moins et dit : «Ça suffit, va te coucher ! moi, j'ai sommeil.» Elle tourne les talons, pour bien marquer qu'il n'y a plus un mot à ajouter, que Charles a bien assez gâché la fête comme ça. Alors, Charles suit sa nature impulsive, coléreuse et jalouse. Il attrape un objet et défonce le crâne de la joyeuse Renée... En une minute, elle gît là, morte. Charles, soudain plus calme, se rend alors compte de ce qu'il vient de faire. Trop tard. Il réfléchit à ce qu'il doit faire, à ce qui l'attend, à la manière de s'en sortir. Il grimpe dans sa voiture garée devant la villa, une Peugeot 309, et fonce. Une seule direction possible : celle de la maison où vit madame L., son épouse. Cela fait dix ans qu'ils sont séparés mais, s'il est jaloux, impulsif et coléreux, Charles est honnête et respecte ses engagements : depuis dix ans, il veille à ce que son épouse reçoive régulièrement les sommes qu'il a promis de lui verser. Ce sont des choses qui forcent l'estime à notre époque, où elles sont encore relativement rares. Aussi, quand, à 2 heures du matin, madame L. est tirée de son lit par le coup de sonnette de son ex-époux, elle se lève, inquiète, mais pas du tout en colère. Elle voit alors Charles qui, sans un mot, dépose sur la table de la cuisine ses papiers d'identité, l'argent qu'il a dans ses poches, tous les petits objets personnels qu'on peut avoir sur soi. Elle lui demande ce qu'il fait là, et il lui répond laconiquement : «Là où je vais maintenant, je n'en aurai plus besoin.» Habituée au caractère ombrageux de son ex-époux, rendue prudente par l'expérience, expérience qui l'a conduite à la séparation dix ans auparavant, madame L. n'insiste pas. Elle n'ose comprendre qu'il a décidé de mettre fin à ses jours, surtout quand elle le voit partir en voiture après y avoir chargé deux bouteilles de gaz. Alors, elle se recouche, inquiète, mais espérant quand même que les choses vont s'arranger, que Charles va revenir au bout de quelques heures pour récupérer ses affaires. Ce qu'il ne fait pas. Les jours passent. Une semaine plus tard seulement, inquiets de l'absence de Renée, ses proches ou ses employeurs font vérifier si elle n'est pas malade chez elle. On la trouve, morte. La gendarmerie a vite fait de reconstituer la soirée d'anniversaire. L'absence conjointe de Charles à son poste de travail rend les conclusions aisées. Mais Charles est toujours introuvable : pas de trace de lui, pas de bruit d'explosion dans les environs, pas de trace de la Peugeot 309. On diffuse son portrait dans la presse, on recherche le véhicule. On survole la région, très boisée, en hélicoptère. Rien. On conclut que Charles, changeant de vie et-d'identité, a mis une frontière ou deux entre lui et la gendarmerie. Peut-être navigue-t-il déjà au loin sur un cargo, comme cuisinier. Jusqu'au jour, un 24 juin, où un chercheur de champignons tombe sur la voiture en bordure d'un bois touffu. A l'arrière, les deux bouteilles de gaz, vides. Sur un muret tout proche, des papiers et un livret de famille dans une enveloppe. Ce sont ceux de Renée. Après les avoir bien mis en évidence, Charles, jaloux, impulsif et violent, mais méticuleux, s'est éloigné dans le bois. On le retrouve donc ce 24 juin, pendu, un kilomètre et demi plus loin.