Mohand n?aurait jamais pensé être cordonnier à quelques mètres de chez lui, si ses trois fils, Rachid, Mouloud et Saïd, tous trois cadres dans trois sociétés différentes, n?avaient pas péri dans le séisme. «Ils avaient de bons salaires. On était une famille solidaire et on gagnait bien notre vie. Maintenant, ils ne sont plus là et les temps sont vraiment durs.» Mohand gagne sa vie en rapiéçant les chaussures des autres sur ce sol ingrat. Il fait un métier qui n?attire plus les jeunes. «Il ne faut ni trop se réjouir ni trop désespérer. Et il faut savoir rester modéré et accepter la vie comme elle est», dira-t-il. Mohand jette par intermittence des regards sur trois photos du séisme dévastateur qu?il a dénichées, il y a presque deux ans, chez un photographe de presse venu couvrir les atrocités. On y voit d?insoutenables images de cadavres, de lambeaux de chair humaine arrachés du béton, parfois des cadavres intacts, mais malheureusement plus de miraculés. Ce bonhomme a-t-il le courage de regarder chaque jour ces images immondes ? «Ce n?est pas du vampirisme, c?est humain», nous dit Mohand. «En jetant à chaque instant un regard à ces images, ajoute-t-il, je me dis que moi je suis vivant car j?ai une mission à achever : réparer les chaussures des autres.»