Nostalgie 130 pieds-noirs juifs, membres de l'association La Fraternelle, organisent le voyage. Ils n?étaient jamais revenus depuis leur départ. «C'est là que j'ai vécu, mon père est décédé dans cette maison» : Marinette Benayoun, 76 ans, fond en larmes, arrivée en haut de l'escalier d'un immeuble de deux étages, à Tlemcen, où elle a grandi et où elle revient pour la première fois depuis 1962. A ses côtés se trouve son neveu, Pierre Martiano. C'est lui qui lui a offert ce pèlerinage, trouvant en elle «un guide» dans le dédale des souvenirs d'enfance. Sur la terrasse, la locataire actuelle interrompt sa lessive, bouleversée à son tour par les sanglots de Mme Benayoun. «Entrez», lui propose-t-elle. «Que de fois Madame, nous avons pris le thé ici», lui raconte la septuagénaire en désignant le salon. La disposition des pièces n'a pas changé, la céramique au sol non plus. Seul le patio, recouvert d'une véranda, n'est plus visible aujourd'hui. «J'ai tellement de souvenirs. Jamais je ne pensais revenir. Merci, merci madame», répète Mme Benayoun, qui habitait dans cette rue Lamoricière rebaptisée Derb Sidi-Hamed. Là où se mélangeaient juifs et Arabes. «Nous vivions en parfaite harmonie», insiste-t-elle. «Juifs ou pas juifs, chez nous on invite les gens. Si tu reviens, tu es la bienvenue», la salue son hôtesse d'un jour. L'accueil est identique dans l'ancienne maison du neveu. Il se souvient de Mahmoud, Hadj et Mohamed, ses copains du même palier. Sur la terrasse, il retrouve les odeurs des poivrons et des tomates que sa mère faisait sécher. Il aurait aimé l'amener, mais ses 90 ans l'en ont empêchée. «J'appréhendais un peu ce voyage. Je vais quitter cette terre avec l'impression d'avoir comblé un manque et une autre notion de la tolérance», avoue-t-il, visiblement apaisé. Les 130 pieds-noirs juifs actuellement en pèlerinage à Tlemcen, fait inédit depuis l'indépendance du pays, ont pu visiter, mardi, une partie du patrimoine israélite de la ville, trois anciennes synagogues transformées, mais préservées. La synagogue du Rabb (rabbin), qui se trouvait à l'époque dans la rue éponyme, est devenue une salle d'arts martiaux. Mais il reste encore quelques vestiges de sa précédente fonction. Dans une rue perpendiculaire, un autre lieu de culte sert aujourd'hui de bibliothèque. Si la structure principale de l'édifice est inchangée, les pointes des triangles de l'étoile juive ont été rabotées. Idem sur les portails de la troisième synagogue, transformée en centre culturel. Un quartier de la ville, non loin de la mosquée, porte toujours le nom de Derb Lihoud, la rue des Juifs. Une dizaine de rabbins étaient en exercice jusqu'en 1962 pour une communauté estimée à un tiers de la population (environ 10 000 personnes), dans l'ensemble pratiquante, selon Abdelaziz Hamza-Chérif, conseiller municipal chargé de la culture.