Naïveté ou destin ? Voilà un jeune man?uvre recruté à la va-vite et au? noir, car la nécessité du chantier n?attend pas? La lourdeur de l?administration est venue s?ajouter à la bureaucratie (oui ! ça existe) pour venir se mêler à un drame où la mort joue le rôle principal et la justice la star, la «guest star», car un inculpé d?homicide involontaire risque une peine de prison ferme d?un an. Et cet inculpé n?est autre que l?entrepreneur, un entrepreneur tellement naïf qu?il a pris au chantier un jeune chômeur au début du? week-end ! «Vous auriez dû prendre vos dispositions pour éviter un tel malheur. Samedi aurait été mieux indiqué car vous auriez pu jouer sur du velours. Le dimanche, l?assurance aurait été faite et vous n?en seriez pas là», a tonné la présidente. Et lorsque Yamina Guerfi, cette magnifique juge, gronde ainsi les inculpés publiquement, elle fait généralement d?une pierre deux coups : apprendre aux gens comment embaucher les man?uvres et autres salariés et attirer l?attention de la nombreuse assistance qui saura, dorénavant? Lounès B., l?entrepreneur inculpé, est encore sous l?effet du choc nommé détention. En effet, condamné par défaut, il avait écopé d?une peine de prison ferme de deux ans, appuyée d?un mandat d?arrêt qu?il avait vidé deux jours avant la tenue du procès. «Pourquoi n?avez-vous pas répondu aux convocations ?» Questionné par routine, la magistrate, qui savait que le détenu ? résidant à Tizi Ouzou ?, allait répondre que la distribution du courrier avait été perturbée à l?époque, par les émeutes ârchs-pouvoir. Elle avale facilement la couleuvre et accepte l?opposition. Elle redit, face au prévenu, les deux délits : «Homicide involontaire et non-déclaration d?un employé à la Cnas.» Le pauvre Lounès baisse la tête. Il sait qu?il n?a rien à dire sur l?accident que la machine judiciaire intitule «homicide involontaire». Mais pour ce qui est de l?impair second, il trouve la force d?articuler que le défunt avait insisté pour obtenir, le jour même, le poste pour une semaine ronde juste de quoi réunir le montant du billet de transport et revenir au pays profond. «Il devait ramener tous ses papiers et s?installer au chantier?» La présidente le coupe net et prie Mihoubi de requérir. Le fougueux procureur prend le taureau par les cornes et, quoique fixé sur la bonne foi de l?inculpé, il demande la confirmation du jugement prononcé par défaut. Me Kamel Issolah, l?avocat, plaide la naïveté. «Il a beaucoup de chantiers qu?il visite deux à trois fois par jour», siffle le défenseur, qui espère l?application de l?article 53 du Code pénal. La juge suit les «prières» du jeune conseil qui s'était étalé sur le destin et il avait même ajouté : «Il est mort au chantier, peut-être aurait-il été victime d?un accident de la circulation ou encore avalé de travers chez lui à table.» La peine de prison de un an est lue, mais assortie du sursis. L?entrepreneur ouvrit enfin les yeux.