Rage «Crève, fils de chien ! », le vieux tire encore blessant les deux hommes. Profitant de sa force et de sa jeunesse, Moussa cogne sur le vieux El-Hadj, comme sur un tambour. Les dents cassées, le nez en sang, arrive péniblement à se dégager de son hargneux adversaire. Il prend la fuite poursuivi par Moussa. Fier de son exploit, Moussa lance devant les nombreux badauds : «C?est ainsi que je corrigerai tous ceux qui se mettront en travers de mon chemin !». Tandis qu?il jouait à Tartarin de Tarascon, quelqu?un lance un cri d?horreur : «Attention El-Hadj revient armé d?un fusil !». L?assistance s?éparpille, comme une nuée de moineaux, seul Moussa, jouant à Zorro, se dresse devant le vieux El-Hadj et le défie : «Tu n?es qu?un vieux chnoque, tu n?as pas le courage de tirer ! Approche pour que je te rosse avec la crosse de ta pétoire !». El-Hadj humilié, bavant de rage, crie en direction de quelques personnes se trouvant derrière Moussa, c?est-à-dire dans sa ligue de mire. «Ecartez-vous, sinon, je ne répondrai plus de rien !». Avant qu?il n?appuie sur la gâchette, Miloud, l?ami de Moussa, s?interpose entre les deux hommes. El-Hadj lui demande de déguerpir, mais Miloud fait la sourde oreille. El-Hadj sait que s?il est désarmé c?en est fait de lui et de son fusil. Et, pour ne pas subir une seconde humiliation, il fait feu sur Moussa et sur son ami. Le premier est atteint d?une balle de sanglier à la cuisse, et le second d?une décharge de chevrotines aux jambes. Tous les deux tombent à terre et crient de douleur comme des gorets qu?on écorche vifs. El-Hadj jubile et crie à tue-tête : «H?alouf ben h?alouf moute ! Moute y akelb!» (meurs fils de chien !). Sa vengeance accomplie, El-Hadj retourne chez lui et attend stoïquement le moment où les gendarmes viendront l?arrêter. Mais pourquoi donc un tel drame ? Moussa, âgé de 35 ans, est une force de la nature. Il est de grande taille et fort comme un taureau d?arène, il est marié et père de deux enfants. Il est aussi grand que bête. Il a une cervelle d?oiseau, mais des poings à la Mohamed Ali, et il n?hésite pas à s?en servir contre ses contradicteurs. C?est un marginal qui se met toujours en porte-à-faux, contre toutes les décisions prises par le comité de village, c?est ainsi qu?un jour, il a été décidé d?agrandir la source du village, afin qu?elle puisse fournir davantage d?eau, tout le monde paye sans rechigner sauf lui, qui trouve à redire et, pour couronner le tout, déclare : «Je ne payerai rien, je n?ai pas besoin de votre source ! je vais, creuser un puits pour moi tout seul !». Quelques jours plus tard, effectivement Moussa se met à creuser un puits, juste au-dessus de la source ancestrale, mais sur ses terres. Les villageois essayent de l?arrêter, en vain. S?il arrive à ses fins, c?en est fait de la source, il va capter toute l?eau et par voie de conséquence, ne donnera l?eau, qu?à certaines personnes. Comme il est l?ennemi de presque tout le monde, personne n?aura de l?eau. Comme Moussa ne veut rien entendre malgré des appels à la sagesse, il a été décidé de faire intervenir les autorités locales, pour mettre fin aux agissements inconsidérés de Moussa. C?est El-Hadj, âgé de 68 ans, qui est chargé d?aviser les autorités. Un arrêté d?interdiction de forage est notifié par les gendarmes à Moussa. Depuis ce jour-là, Moussa ronge son frein et rumine sa vengeance. Il sait que c?est le comité de village qui a pris la décision de le dénoncer aux autorités, mais il ne veut s?en prendre qu?à El-Hadj, qu?il traite de «harki» «goumi» «bouchkara» et pour lui c?est El-Hadj qui a tout manigancé, c?est lui le cerveau, c?est lui l?ennemi à abattre, et c?est pour cela qu?il l?a frappé en public et que El-Hadj a riposté. Moussa et son ami s?en tirent avec de graves blessures tandis que El-Hadj est arrêté et écroué.