Le roi, bien qu?heureux, masqua sa joie et déclara : «L?étranger, demain, du palais royal, sortiront soixante-dix jeunes filles. La princesse sera parmi elles. Toi qui ne l?as jamais vue, si tu la reconnais sur le champ, je te la donne ainsi que la moitié de mon royaume. Parole de roi ! D?ailleurs, la loi veut que les épreuves imposées ne soient jamais supérieures à trois.» Le lendemain, soixante-dix jeunes filles, montées sur soixante-dix juments pétillantes comme le feu, sortirent par groupes de dix du palais. Elles portaient les mêmes robes de velours miel incrustées de diamants qui captaient la lumière du soleil. Elles étaient toutes entièrement enveloppées dans des voiles de soie sauvage aux couleurs de l?arc-en-ciel. En effet, les différentes teintes de la ceinture de sainte Marie* y étaient représentées. Les dix jeunes filles du premier groupe portaient toutes des voiles violets, celles du second groupe des voiles indigos, celles du troisième des voiles bleus, celles du quatrième des voiles verts, celles du cinquième des voiles jaunes, celles du sixième, leurs voiles étaient de couleur orange et ceux du dernier groupe étaient rouges. Ces belles demoiselles défilèrent lentement devant le prince, toutes plus magnifiques les unes que les autres. Si Badr-Eddine n?en admira aucune, il reconnut cependant l?élue de son c?ur. chevelure noire était si longue qu?elle dépassait de son voile, de plus, quand la belle arriva près de lui, il aperçut au doigt de la jeune fille sa propre bague. N'écoutant que son c?ur, il s?approcha de la jeune fille qui lui murmura : «Tu es amoureux, bien amoureux, ô ! Badr-Eddine et tu m?as rejointe même dans l?empire de Chine !» Alors le prince prit Mine dans ses bras, l?installa sur le cheval d?Eclair et de tonnerre et disparut en un instant. Revenons au palais du royaume d?Algérie. Jamais le lys que le prince avait confié à sa mère n?avait été d?un blanc aussi éclatant, jamais au grand jamais il n?avait exhalé un parfum aussi envoûtant. La reine, au comble de la joie, courut voir le roi : «Majesté, Majesté ! Le prince revient ! Il est heureux ! Qu?on prépare une grande fête !» Le roi, tout étonné, allait demander à sa femme comment elle pouvait le savoir quand il entendit une rumeur qui montait de la rue : c?était la ville qui acclamait le retour de son prince bien-aimé. Le palais fut alors illuminé par des milliers de lampions multicolores. Les jets d?eau jaillirent de toutes parts. Les servantes, tout de blanc vêtues et plus légères que des mouettes, coururent ouvrir les portes du palais... Badr-Eddine présenta Mine à ses parents puis leur raconta ses mésaventures. On envoya, sur le champ, des émissaires inviter l?empereur de Chine, qui arriva bientôt en grande pompe pour assister aux noces de sa fille. Quelle ne fut sa joie quand il apprit que son gendre n?était pas un simple étranger, mais l?héritier du royaume d?Algérie, une contrée si vaste et si riche ! Jamais, de mémoire d?homme, on ne vit plus belle mariée. Les noces durèrent sept jours et sept nuits et le roi, à cette occasion, offrit des cadeaux à tous ses sujets et décida de nourrir mille pauvres et démunis. Le nain Redjêlet Le lendemain des noces, le roi était donc entouré de ses sujets, heureux d?avoir reçu tant de présents somptueux. Redjêlet, c?est-à-dire «petit homme» en arabe, était en fait un nain qui vivait dans le palais depuis sa naissance et qui bénéficiait, on ne savait pourquoi, des largesses du roi. Redjêlet était connu pour son mauvais caractère et sa susceptibilité maladive due à sa petite taille. Ecuyer du roi, il passait le plus clair de son temps à chasser, car à cheval, il se sentait aussi grand que les autres. De plus, le fait de débusquer, de harceler, de poursuivre et enfin de tuer une proie lui procurait une indicible joie. Il était cruel et le devenait chaque jour davantage ! Il haïssait Badr-Eddine et cela tournait à l?obsession, car son rêve était de posséder un jour le cheval d?Eclair et de tonnerre. Sa haine pour Badr-Eddine devenait obsessionnelle. Chaque matin, il venait rôder autour de l?animal pour l?admirer de loin car l?étalon était gardé jour et nuit par deux esclaves qui étaient les seuls à le nourrir et à le soigner. Redjêlet entra le dernier dans la grande salle pour présenter ses félicitations au prince ; il devait aussi recevoir, comme tous les autres sujets, un présent des mains du roi. (à suivre...) (*) La ceinture de sainte Marie est la représentation imaginée de l?arc-en-ciel.