Tristesse n Toutes les filles, autour d?elle, se marient et elle, la pauvre, les voit partir, le c?ur gros. Son tour viendra-t-il un jour ? Si peu d?Algériens connaissent aujourd?hui le talisman de Mordjana ? harz Mordjana ?, il fut un temps où toutes les femmes rêvaient de mettre la main sur cet objet magique qui suscitait l?amour et faisait aimer la plus laide des femmes ! L?histoire est, dit-on, réelle, mais on possède peu de références historiques fiables sur le principal personnage et il est fort possible, comme c?est souvent le cas en pareille situation, que la fiction se mêle à la réalité, pour nous fournir une belle histoire comme seuls les Algériens savent les raconter ! La version que nous rapportons est la juxtaposition de récits que nous avons collectés et rassemblés, en essayant de les agrémenter d?une touche de romantisme? Mordjana vivait, il y a bien longtemps, à Alger ? d?autres récits la situent dans d?autres villes ? à une époque lointaine : celle des princes, du faste des cours et des villes fortifiées. Elle avait une vingtaine d?années et elle était encore célibataire. Il faut dire qu?à l?époque, les filles se mariaient très jeunes et celles qui arrivaient à l?âge de Mordjana et qui n?avaient pas trouvé d?époux étaient considérées comme de vieilles filles. Mordjana était une fille intelligente et travailleuse et, comme on disait à l?époque, «chacun de ses doigts possédait un métier» : elle savait coudre, broder, cuisiner, faire la lessive et le ménage, carder, filer? Un vrai trésor pour celui qui l?épouserait, mais elle avait deux défauts : elle était pauvre et très laide. En fait, il ne s?agissait pas de défauts, mais qui pouvait vouloir d?une fille qui ne possédait ni or ni argent et qui était affublée d?un physique disgracieux ? Un corps maigre, une face en lame de rasoir, avec des yeux globuleux et un nez en bec de rapace. Quand des femmes viennent à la recherche de filles à marier, les âmes charitables ne manquent pas de leur vanter les qualités de Mordjana : «Elle sait tout faire cette fille, et elle travaille sans arrêt et sans jamais se fatiguer, du lever du soleil au coucher !» Mais dès qu?elles la voient, les marieuses s?écrient : «Dieu, qui voudrait d?un pareil laideron ? Pas même un vieillard veuf et édenté ! Non, non, elle est trop laide !» Toutes les filles, autour d?elle se marient et elle, la pauvre, les voit partir le c?ur gros. Son tour viendra-t-il un jour ? Un homme, même le plus pauvre et le plus laid, la remarquera-t-il ? Elle est si bonne et si douce, Mordjana, et elle inspire de la pitié à beaucoup de gens mais personne ne pense à demander sa main. Sa mère ne cesse de se morfondre : «Hélas, Mordjana, aurais-je le bonheur, avant de mourir, de te voir toi aussi mariée ? J?ai peur de mourir et de te laisser seule au monde. ? Il y aura toujours Dieu avec moi, mère, répond la jeune femme. ? Alors que Dieu soit avec toi ma fille, fasse qu?il ne t?abandonne pas ! ? J?ai foi en lui? Je ne désespère pas qu?il me donne, à moi aussi, ma part de bonheur dans ce monde !» (à suivre...)