L?étranger qui débarque à Alger est littéralement choqué de voir ces familles entières qui occupent le trottoir, y mangent, y dorment et qui en arrivent, à force d?habitude et d?indifférence, à mener une vie presque normale, avec ses joies et ses peines. Qu?elles sont émouvantes, les scènes de ces enfants de la rue qui sautent comme des cabris, font des galipettes, jouent, pleurnichent et courent se réfugier dans les jupons de leur mère. Combien pathétiques sont ces femmes qui s?oublient, comme si elles étaient dans leur cuisine, à préparer le seul repas de la journée, celui du soir, lorsque tous les membres de la famille rentrent «à la maison» après avoir tenté, chacun à sa manière, de se faire un peu d?argent. D?autres SDF, et ils sont très nombreux, n?ont même pas cette chance d?être soutenus par la présence des leurs à leurs côtés. C?est surtout le cas de ces filles mères, piégées par la vie, victimes innocentes d?un viol ou d?un amour trahi, abandonnées des leurs et qui se retrouvent seules dans la vie, comme un fragile fétu jeté par un torrent violent sur des berges inhospitalières. Avec un bébé innocent sur les bras qu?elles ne se décident pas à abandonner malgré la dureté des jours, mais où elles puisent tant d?amour et d?indicible joie. Jusqu?au jour où la maladie, la mort ou la méchanceté des hommes viendra leur arracher ce lambeau de leur chair. Ces horribles images de la déchéance se sont banalisées dans la tête des gens. C?est à peine si quelqu?un lance de temps à autre une petite pièce, sans même un mot de réconfort. L?Etat brille par son absence et son incapacité de faire le bien. Il n?intervient que pour séparer ceux qui s?aiment. Pendant ce temps, du haut de leurs chaires, des hommes, bien nourris, vocifèrent des commandements et dissertent sur la durée qu?a passée Jonas dans le ventre de la baleine. Ah, s?ils pouvaient plutôt décréter le djihad? contre la misère et l?indifférence !