Rome, ces jours-ci, est investie par le cinéma. Dès qu'on arrive au site de l'impressionnant auditorium Parco Della Musica, siège de la festa, l'excellence de l'accueil et de l'organisation de ce premier festival accentue le sentiment que les Romains ont relevé le défi. Plongée et contre-plongée sur ce lieu magnifique, le temps d'entendre le grand cinéaste Ettore Scola rendre un hommage vibrant à Gillo Pontecorvo et de voir la foule de spectateurs romains attirés comme par une force étrange par l'écran où le festival a tenu à montrer, avant toute chose, le retentissant chef-d'œuvre : La Bataille d'Alger. Pendant ce temps, sans fatigue et sans désillusions sur ce qui se passe en Amérique, le célèbre vagabond du cinéma d'auteur, entre New York et Rome, Los Angeles et Hong Kong, Martin Scorsese a débarqué à la festa pour montrer son dernier film The Departed, un remake d'un thriller de Hong Kong justement. Scorsese, inspiré au plus haut niveau, avec ses fameux mouvements circulaires de la caméra, évoque avec force un duel sanglant entre la police de Boston et un cauchemardesque chef de la mafia. Sauf que ce type est joué avec un talent hypnotique, quasiment lyrique, par le génial Jack Nicholson. Mise en scène aiguisée à l'extrême, avec d'autres rôles remplis sans hiatus, sans faiblesse par deux autres talentueux acteurs : Leonardo DiCaprio et Matt Damon. Embrassades à la manière romaine, palabres à gogo aux portes des trois immenses salles de l'auditorium ultramoderne construit par Renzo Piano, plus de cent films à la festa font trépigner d'impatience les 5000 accrédités et invités reçus à Rome en grandes pompes. Le public, pendant ce temps, s'est arraché plus de 10 000 tickets d'entrée mis en vente. Pour voir la splendide Monica Bellucci dans Napoléon, l'air autour de la salle était chargé d'une sensuelle tension (cris et joie émouvante quand la diva a foulé le tapis rouge qui mène à la salle). Roma cinema festa est totalement en harmonie, par ailleurs, avec la situation du monde actuel. On a vu le pathétique opus d'Ariane Mnouchkine : Odyssées, le dernier des Caravansérails, un théâtre filmé sur « des humains migrateurs », sur les réfugiés et les émigrés du XXIe siècle, un récit d'urgence qui réunit fiction et documentaire. Dans un genre tout à fait différent, l'Indienne Mira Naïr a mis en scène splendidement dans The Name Sake (le destin d'un nom), tiré du roman de Jhumpa Lahiri, une longue saga sur le thème de l'utopie, du rêve du Nouveau monde. Il s'agit d'une famille bengalie qui quitte Calcutta pour aller vivre à New York. La réalité comme toujours ne coïncide pas avec le rêve. La vie passe par des flux successifs. Quelque chose se dégrade quand on est loin du pays. Comme le dit le film : « Know where you come from to get where you are going. »