«Gardes ! Faites entrer les accusés...» Une rumeur prolongée emplit la cour d'assises de Pise, tandis que le président agite sa sonnette pour tenter de calmer les esprits. «Un peu de silence, je vous prie !» Mais rien n'y fait. La rumeur s'amplifie encore et se transforme en véritable ovation quand les deux accusés font leur entrée dans le box. lIs ont tous deux le même âge, c'est-à-dire vingt cinq ans. Elle, très brune, a le type italien traditionnel, le visage bien dessiné et énergique, le corps admirablement fait ; lui, petite moustache et cheveux ondulés, un léger sourire qui découvre ses dents éclatantes, semble tout droit sorti d'une affiche de cinéma. Il est à noter qu'elle porte au bras une écharpe et que lui s'appuie sur une canne. A leurs côtés, un jeune avocat, tout sourire, lui aussi, et qui semble parfaitement à l'aise... Le président est enfin parvenu à se faire entendre. Il annonce : «Rosina et Pietro Verga, vous êtes accusés de tentative d'assassinat avec préméditation.» A nouveau, des bravos spontanés fusent dans la salle... Alors que se passe-t-il, ce 6 août 1956, devant la cour d'assises de Pise ? Le public italien serait-il devenu fou ? Comment une tentative d'assassinat avec préméditation pourrait-elle justifier un tel enthousiasme ? La réponse tient en un mot : l'amour. Nulle part peut-être plus qu'en Italie, on aime les grandes histoires d'amour. Et dans ce genre, le public est plutôt bien servi. Le président s'adresse d'abord à la jeune femme. «Vous vous appelez Rosina Verga, née Mafante, vingt-cinq ans, native de Ponteverde.» L'accusée regarde le président bien en face et répond avec une assurance provocante : «Parfaitement !» Le président ne relève pas l'insolence, soulignée par un murmure approbateur de l'assistance, tout entière composée d'habitants de Ponteverde, et se tourne vers le jeune homme : «Et vous, vous êtes Pietro Verga, vingt-cinq ans, natif de Ponteverde.» Pietro Verga a une attitude plus réservée que sa femme. Il se contente de répondre : «Oui, monsieur le Président.» Le président plonge quelques instants la tête dans ses papiers avant de reprendre la parole. «L'origine des évènements se situe le 3 octobre 1955. Ce jour-là, vous avez rendez-vous tous les deux sur la place du village de Ponteverde. Vous êtes fiancés depuis un an. C'est vous, Pietro Verga, qui avez pris l'initiative de ce rendez-vous. Vous aviez une intention bien précise ? ? Oui monsieur le Président. Je voulais rompre et je l'ai fait. J'ai dit à Rosina : "Il faut nous séparer." ? Pour quelle raison ? Il y avait une autre femme dans votre vie ? ? C'est ce que Rosina m'a dit tout de suite : mais ce n'était pas vrai. Je ne me sentais plus sûr de mes sentiments. Je crois que je traversais une période de dépression. ? Et vous, Rosina Verga, qu'avez-vous pensé quand votre fiancé vous a annoncé ses intentions ? ? J'ai d'abord cru à une rivale, comme Pietro vient de vous le dire. Quand j'ai compris qu'il n'y en avait pas, cela a été pire encore. S'il y avait eu une autre femme, je me serais battue contre elle. Puisque c'était comme cela, c'était Pietro qui devait payer ! ? C'est à ce moment-là que vous avez décidé de le tuer ? ? Non. Je voulais simplement lui faire le plus de mal possible. ? Et qu'avez-vous fait ? ? J'ai d'abord été trouvé un médecin légiste. Je lui ai demandé un certificat prouvant que Pietro m'avait déshonorée. Il m'a répondu qu'il existait des dizaines de garçons à Ponteverde, des millions dans toute l'ltalie, et qu'il lui était difficile de dire lequel était responsable.» (à suivre...)