Chaque pays, chaque région a ses coutumes, qui font partie du folklore et que tout le monde trouve charmantes avec leur côté un peu désuet. Prenez par exemple cette pittoresque tradition sicilienne : l'enlèvement amoureux. Quand le prétendant d'une jeune fille est éconduit par celle-ci ou par ses parents, il lui reste encore une solution : l'enlever. Avec quelques amis, il s'arrange pour organiser le rapt. Il emmène l'élue de son c?ur dans une retraite secrète et il consomme le mariage avant la cérémonie. Ensuite, il n'a plus qu?à se présenter au domicile de sa belle pour faire sa demande en mariage. Et il ne viendrait à l'idée d'aucun père, d'aucune mère de refuser. Minerbio est un petit village de Sicile, pas très loin de l'Etna. Nous sommes en 1962, et si le modernisme a imposé son progrès, les structures, elles, sont toujours les mêmes depuis des siècles. La vie économique est exclusivement agricole et, surtout, les mentalités n'ont pas évolué. A Minerbio on a le respect, le cuIte des traditions. La famille Alcamo possède une des plus belles exploitations de la région. Les Alcamo ont une fille à marier. Elle s'appelle Vera, elle a dix-huit ans, elle est charmante, elle est même très belle avec ses longs cheveux noirs et son air distingué, qui tranche avec l'allure des autres filles du village. Aussi, Giuseppe Alcamo, son père, n'a-t-il que l'embarras du choix pour ses prétendants. Mais depuis quelque temps déjà, il s'est décidé. Adolfo SaIlustri semble particulièrement épris de Vera. Sa famille est aussi importante que celle des Alcamo. Elle possède une exploitation agricole ancienne et prospère. On murmure même que les SaIlustri ont des liens avec la maffia. Aussi, au printemps 1962, l'affaire se conclut. On célèbre les fiançailles de Vera Alcamo avec Adolfo Sallustri. Giuseppe, qui est un bon père, a tout de même demandé auparavant l'avis de sa fille. Vera n'a répondu ni oui ni non. Elle ne connaît pas Adolfo et, de toute manière, les fiançailles ne sont pas le mariage. Les fiançailles durent six mois. Selon la coutume, les jeunes gens ne sont, à aucun moment, laissés seuls. La jeune s?ur de Vera ou l'une de ses amies est toujours là pour leur servir de chaperon. Mais pour la jeune file, c'est une précaution inutile. Vera se rend rapidement compte qu'Adolfo n'est pas du tout le genre d'homme qui lui convient. C'est le type même du mâle sicilien, sûr de lui, beau parleur et méprisant les femmes. Il n'hésite pas à se vanter auprès d'elle de ses conquêtes passées et il lui promet, une fois qu'ils seront mariés, de lui faire bénéficier de son expérience. Or, Vera ne ressemble pas à ses compagnes du village, passives et soumises. Elle est indépendante, elle est curieuse de tout, même si elle n'a pas pu faire d'études. On l'a retirée de l'école à seize ans. En Sicile, une jeune fille ne doit pas être trop cultivée, sinon, elle risquerait de l'être plus que son futur mari, ce qui serait, bien entendu, inacceptable. Alors, depuis deux ans qu'elle a cessé ses études, Vera Alcamo lit énormément. Elle a appris beaucoup et elle n'a que du mépris pour cet Adolfo, avec son visage de brute, ses manières grossières et son ignorance crasse. Un jour d'octobre, elle va trouver son père. Elle lui dit : «Je ne veux pas épouser Adolfo. Je ne l'aime pas.» Giuseppe Alcamo est contrarié dans ses projets. Mais il a toujours adoré Vera et, même en Sicile, une jeune file a le droit de rompre ses fiançailles. On signifie donc la rupture à Adolfo SaIlustri et les deux familles reprennent leur engagement. (à suivre...)