Destin Entre l?Algérie et la France, la vie de cette femme si extraordinaire fut à la fois ordinaire et originale. Saïda, qui avait rejoint après l?Indépendance son mari en France, accompagnée de ses quatre garçons dont le plus âgé avait douze ans et le plus jeune deux, eut, au début, beaucoup de mal à s?adapter à sa nouvelle vie. D?abord parce qu?elle ne comprenait pas la langue, et aussi, surtout, parce qu?elle ne pouvait plus se voiler du haïk blanc qu?elle portait pour sortir depuis l?âge de 13 ans. C?était une grande femme corpulente aux chevaux roux et au teint très blanc, avec un beau visage joufflu, aux sourcils fins et arqués sur de grands yeux noirs. Tout son visage respirait la bonté et la joie de vivre et aussi une grande détermination. Le mari de Saïda était un homme quelconque, coiffeur de son état, effacé, discret et terriblement jaloux, bien qu?il n?ait aucune raison de l?être. Saïda, orpheline, avait été élevée par son oncle très sévère, et avait gardé de son éducation une grande pudeur, une honnêteté sans faille et aussi un grand courage. Les deux époux se complétaient. Avec les années, elle réussit tant bien que mal à élever ses garçons, et mit au monde, suprême bonheur pour elle, deux filles, Salima et Nadia. A force d?économie et de travail, le couple réussit à acquérir une maison individuelle, et un restaurant mitoyen à la maison. Ce sont les deux aînés qui travaillaient au restaurant, tandis que leur père, Saïd, avait acheté un salon de coiffure pour hommes situé au bout de la rue, si bien qu?ils avaient l?impression de posséder toute une partie de la rue des Jasmins, dans une ville d?Alsace, à l?est de la France. Saïda avait fini par ressembler aux émigrés, à savoir certaines tolérances qui lui auraient semblé inadmissibles à son arrivée dans son pays d?accueil, comme laisser ses filles sortir en boîte, accompagnées de leur frère, bien sûr, ou de laisser son fils cadet vivre en concubinage avec une Espagnole. Mais au fond d?elle-même, elle avait gardé intacts ses principes et ses convictions, seulement, elle se sentait «dépassée» par «la civilisation», et au retour au pays, elle reprenait ses habitudes, et remettait son haïk. A chaque voyage, elle revenait à son village chargée de lourdes valises pleines de vêtements et de coupons pour les pauvres. Elle n?hésitait jamais à donner aux autres, et tout le monde la respectait et l?aimait. Mais parallèlement à cette personnalité de sainte femme, généreuse, sans histoires, elle réussissait toujours à se mettre dans des situations assez originales qui commençaient toujours par une bonne intention et se terminaient la plupart du temps en catastrophe. Elle eut donc beaucoup de problèmes dans sa vie d?émigrée car elle avait gardé un sens inné de la justice et son esprit batailleur, longtemps refoulé au cours des premières années de sa vie et au début de son mariage, refit surface, et Saïda s?en donna à c?ur joie? (à suivre...)