Le prince étonné, répondit aussitôt : «Entrez !» Bouton de rose ouvrit la deuxième porte et dit à voix haute : «Majesté, puis-je entrer ? Ou dois-je retourner sur mes pas» Le prince, séduit, répondit encore plus vite : «Entrez, entrez !» Se sachant toute proche, puisqu?il n?y avait plus qu?une seule porte à franchir, Bouton de rose murmura : «Majesté, je n?entrerai que si vous m?y invitez.» Le prince, subjugué, répliqua : «Sois la bienvenue, il ne te sera fait aucun mal, puisque tu as le privilège d?être mon invitée !» Avec précaution, Bouton de rose ouvrit la fameuse porte et entra. Le prince était assis sur son trône d?or et d?argent. Il portait sept masques sur son visage, ses cheveux étaient cachés par une lourde couronne, son corps était enveloppé par un burnous incrusté d?or et d?argent. Sur son épaule était posé l?oiseau de jais, son costume et son trône brillaient de mille feux perçant ainsi l?obscurité qui régnait dans la salle. Apercevant la jeune fille dans la pénombre, Sa Majesté lui dit : «Tu es la première femme qui entre ici et qui apprécie ma nuit, tu dois être soit très sage, soit très laide !» Profitant de l?obscurité et de l?inattention du prince, Bouton de rose fit tomber une goutte d?élixir dans le verre d?eau qu?il s?apprêtait à boire. La jeune fille ne tarda pas à entendre un grand bruit, le prince s?était écroulé la tête en arrière et sa lourde couronne était tombée à terre. Bouton de rose, qui avait l?impression d?être plongée dans un puits obscur, s?empressa d?ouvrir portes et fenêtres. Le soleil, instantanément, se répandit dans l?appartement, l?inonda puis lécha ses murs froids. La jeune fille, sans perdre de temps, fouilla dans le coffre du fils du roi et s?empara de ses cinq peignes en or. Avant de sortir, elle s?approcha du prince et lui arracha, successivement, ses sept masques. Elle découvrit un visage plus blanc qu?un linceul et une feuille de papier, alors elle eut l?idée d?y écrire, à l?aide de son crayon de khôl, ces quelques mots : «Je suis Bouton de rose la bienheureuse, Et de vous, je n?ai jamais été amoureuse ! Peut-on l?être, peut-on aimer le noir, le mauvais sort Et la mort ? J?ai vengé mon père et lavé l?affront. J?ai surtout repris mon bien que votre oiseau m?a volé. Sachez que s?il réapparaît, cent archers Seront là pour le pourchasser J?ai dû noircir votre front de mon écriture Front, qui, tout à l?heure, devrait rougir sous l?injure !» La princesse sauta par la fenêtre, traversa les jardins du roi, courut de toutes ses forces et arriva sur la plage où était amarré le bateau. Elle était si heureuse de s?être vengée de ce prince arrogant qui s?était moqué du roi et l?avait offensé ! Bouton de rose embarqua aussitôt sur le vaisseau au grand mât d?ambre gréé d?une voile de satin frissonnante qui fendit la mer sur l?heure. La princesse voyagea ainsi longtemps. Combien de fois le soleil se leva-t-il à l?Orient et se noya-t-il au couchant sur le navire entouré d?eau à l?infini ? Dieu seul le sait ! Mais un jour, les côtes algériennes furent enfin en vue et Alger la blanche à l?horizon se profila. Là-bas, en Arabie, un soleil de plomb avait pris possession des lieux, il réchauffa la chaîne en or que le prince avait autour du cou, elle finit par lui brûler la joue. Il porta instinctivement la main sur la brûlure et, comprit alors qu?il ne portait plus le masque. Il ouvrit un ?il et fut aveuglé par une gerbe de lumière. Se protégeant les yeux, il se releva et ce qu?il vit le rendit fou de colère : tous les sujets du royaume ou presque étaient là, poussés par la curiosité, qui par les fenêtres, qui par les balcons, qui par les portes, tous regardaient avec étonnement ce prince qu?ils n?avaient jamais vu. Hors de lui, il poussa un cri qui fendit le ciel et fit trembler la terre. Les curieux, terrorisés, rapidement se dispersèrent. Les yeux du prince peu à peu s?habituèrent à la lumière. Il put alors déchiffrer le message de la jeune fille. Sur le miroir, était aussi écrit en gros caractères : «O, mon roi, je viens d?apprendre, grâce à toi Que dorénavant, il me faudrait me moquer des hommes Avant qu?ils ne se moquent de moi !» (à suivre...)