L'inspecteur Lucky Norton circule dans New York au volant de sa voiture de police banalisée, ce matin du 10 octobre 1978. Lucky Norton, cinquante-deux ans, plutôt gras, cigare à la bouche et col de chemise pas très propre, est un vieux de la vieille. Il a derrière lui plus de trente ans de police new-yorkaise, ce qui est tout dire en matière d'expérience criminelle. Pour l'instant, il effectue une patrouille de routine dans Manhattan. C'est au moment où il quitte Central Park pour tourner dans la Cinquième Avenue que l'incident se produit. Ainsi qu'il le notera lui-même dans son rapport, il était exactement midi trois... Devant lui, la circulation ralentit. Lucky Norton se rend compte que ce brusque embouteillage n'est pas dû au trafic, mais à une cause accidentelle. Il met en marche sa sirène, double les véhicules en empruntant la portion gauche de l'avenue et arrive sur place. Il ne se trompait pas : une jeune femme d'une trentaine d'années est allongée sur la chaussée, après avoir été renversée par une voiture. Des agents en uniforme sont en train de faire les constatations d'usage. L'inspecteur Norton va vers eux, leur montre sa carte et se penche vers la jeune femme. Malgré les circonstances, il ne peut s'empêcher d'être frappé par sa beauté. Elle est blonde, avec de longs cheveux ; elle a les yeux verts, les traits parfaitement dessinés ; elle est très grande, environ un mètre quatre-vingts. Elle a tout à fait le physique d'un mannequin. D'ailleurs, elle l'est peut-être réellement : sa silhouette et son visage disent quelque chose à l'inspecteur ; il a l'impression de l'avoir déjà vue sur des magazines. La jeune femme n'a comme blessure apparente qu'une estafilade à la main droite. «Ça va, madame ?» La réponse de la blessée n'est pas du tout celle que l'inspecteur attendait. Elle murmure : «Arrêtez-le !» Lucky Norton réagit au quart de tour. Il sait par expérience qu'il faut faire vite : une personne en état de choc peut perdre conscience d'un instant à l'autre et parfois définitivement. «Vous voulez dire que l'automobiliste vous a renversée intentionnellement ?» Les beaux yeux verts de la jeune femme deviennent troubles. Elle secoue la tête avec difficulté. «Non... Pas lui. ? Qui alors ? ? Poussée... ? Par qui ?» Cette fois, la blessée ne répond plus. Sans perdre de temps, l'inspecteur Norton s'empare du sac à main, tombé sur la chaussée. Il l'ouvre, déplie une carte d'identité au nom de Diana Spring et continue sa fouille. Il découvre alors une enveloppe pliée en deux dont l'adresse provoque chez lui un mouvement de surprise : elle est rédigée avec des caractères découpés dans un journal. Il ouvre la missive, qui a été composée de la même manière. Le texte est court : «Tu as fini de te montrer dans les revues, l'heure du châtiment a sonné.» Le message est anonyme. L'inspecteur Norton est absorbé dans sa lecture lorsque des éclats de voix retentissent. Un homme d'une trentaine d'années est en train de se frayer un chemin vers la victime. C'est un grand brun dégingandé au regard tragique. «C'est ma femme ! Que s'est-il passé ?» L'ambulance est arrivée. On charge Diana Spring sur une civière. Son mari, Philip Spring, trente et un ans, agent d'assurances, qui sortait de son bureau situé sur le trottoir d'en face, prend place dans la voiture de l'inspecteur. lIs suivent tous les deux l'ambulance au son des sirènes hurlantes... (à suivre...)