Un crissement de pneus sur l'asphaIte. Une voiture qui s'arrête brusquement. Un homme dans la force de l'âge en descend. Au bord de la route, un autre véhicule est arrêté : sa conductrice, une brune appétissante aux lèvres pulpeuses, est de toute évidence dans l'embarras. Son pneu est crevé et ses jolis doigts manucurés ne sont pas faits pour la manipulation des crics, des jantes et de tout ce qu'il faut empoigner à pleines mains quand on doit changer sa roue. Hervé, l'obligeant automobiliste, a tôt fait de remettre tout en ordre. On bavarde, Hervé est beau parleur ; tous deux repartent ensuite pour continuer la conversation autour d'un rafraîchissement. On échange les numéros de téléphone, les jours passent, on se revoit, on s'abandonne, on se donne, on finit par vivre ensemble. Hervé, la quarantaine, a dix-huit ans de plus que Clotilde, la jolie conductrice en détresse. Il aime bien raconter sa vie, en l'arrangeant un peu... Ce vilain petit défaut les conduira tous les deux aux assises. Pourtant, le passé d?Hervé tel que celui-ci le confie à Clotilde n'a rien de glorieux. Il avoue qu'il a quitté l'école à quatorze ans pour apprendre la couture. Pourquoi pas ? Puis, sans doute lassé par les piqûres d'aiguilles, il change de métier. Il est dispensé de service militaire car l'armée lui découvre des troubles du comportement. Il bifurque alors vers l'électricité, ce qui l'amène, sans trop de logique, à devenir coffreur-boiseur. Il passe ensuite du coffrage à l'autobus, puis de l'autobus au camion de livraison. Une vie qui se cherche, un peu instable, mais pas de quoi fouetter un chat. Le dernier patron d?Hervé est dur à la tâche. Il exige des cadences infernales. Hervé en fait une dépression nerveuse et finit par obtenir une pension d'invalidité de deuxième catégorie. C'est la garantie d'une rentrée d'argent régulière, mais c'est aussi la consécration officielle d'une certaine «incapacité» au travail. Au bout du compte, Hervé, dans ses heures de loisirs, aime bien se promener revêtu d'un treillis, nostalgie d'une armée qui l'a rejeté. Mais sur ce treillis, il se fait plaisir en arborant de belles barrettes dorées, ce qui est formellement interdit par la loi. Ces galons immérités lui permettent de se dire à l'occasion «colonel en retraite». Voilà une carte de visite qui inspire dorénavant confiance aux plus naïves... Clotilde, quant à elle, est dactylo au chômage. Elle est la dernière-née d'une famille d'émigrés italiens, la petite «chouchoute» d'un père qui lui passe toutes ses volontés. Pas vraiment la meilleure éducation pour affronter les difficultés de la vie moderne. Clotilde apprend, très tôt, le pouvoir de ses grands yeux noirs et de ses lèvres pulpeuses. Elle en conclut instinctivement qu'elle détient là un moyen de se défendre dans l'existence, meilleur moyen que de passer des heures à se casser les ongles sur un clavier de machine... Le couple Hervé-Clotilde s'installe dans un appartement de Golfe-Juan. Bientôt, les voisins témoigneront de l'étrange vie du faux ménage. Nombreuses allées et venues, tapage nocturne, cris de femme battue, volets constamment fermés. Rien à voir avec une vie bourgeoise... Pourtant, Hervé exprime déjà le désir d'épouser Clotilde. Il charge même son futur beau-frère de lui dénicher un restaurant à vendre, mais pas n'importe quoi, plutôt un établissement dans le genre luxueux. Quelque chose qui soit digne des relations mondaines qu'il prétend avoir : la clientèle, à l'entendre, ne comprendra rien moins que le général Bigeard et Jacques Chaban-Delmas... Le mythomane parfait brode son histoire. (à suivre...)