Tout le quartier est en émoi : pensez donc, ce matin, Mme B., la femme de ménage qui vient régulièrement pour travailler chez Mme P., a trouvé sa patronne raide morte au milieu de l'appartement. La porte était ouverte et le téléphone décroché. De toute évidence, Mme Henriette P. a été assassinée, au moins depuis deux jours... Qui pouvait lui en vouloir ? C'est la question que se pose tout le voisinage dans cette petite ville des Pyrénées. Une si bonne personne, si aimable, si prompte à rendre service... Mme Henriette P., trois jours plus tôt, est une retraitée de soixante-quinze ans, ancienne secrétaire, et elle fait l'unanimité de ses voisins. Elle vit dans le même appartement depuis vingt-cinq ans. Elle n'est pas riche, mais jouit d'une bonne retraite de neuf mille francs par mois. Elle n'a pas d'héritier, à part un frère artiste peintre qui, étant donné son âge, vit de son côté dans une maison de retraite. Son défunt mari, qui a mis fin à ses jours dans leur appartement quinze ans auparavant, n'a pas laissé, lui non plus, de famille. Aussi Mme Henriette P., assurée de ses rentrées financières chaque mois, peut planifier son budget et son existence au mieux de son bon c?ur. Elle apprend ainsi qu'un peintre en bâtiment qui ravale l'immeuble n'est pas des plus riches, elle le fait parler et lorsqu'il lui révèle, avec réticence, que ses deux enfants, faute de lits, dorment sur deux matelas à même le sol, Henriette lui fait immédiatement un chèque pour lui permettre d'améliorer le confort des deux petits... Mieux encore, quand, quelque temps plus tard, elle apprend que la belle-mère dudit peintre est morte, elle fait aussi un chèque pour régler les frais d'obsèques... Et ce n'est pas tout : le peintre, un homme bien charmant, bénéficie, une fois encore, des bienfaits de Mme Henriette : elle lui donne une jolie somme (quinze mille francs) pour l'aider à construire sa maison dans un village tout proche... Brave Mme Henriette. D'autres personnes se félicitent aussi de ses largesses. Mais Mme Henriette n'a pas la générosité discrète : elle fait volontiers état des dons et des prêts qu'elle accorde à ceux qui lui sont sympathiques. A la limite, elle espère qu'ils sauront lui démontrer leur reconnaissance en lui rendant de petits services. Donnant, donnant, comme on dit. Ainsi fait-elle comprendre au peintre qu'elle aimerait volontiers faire quelques promenades en voiture, durant les week-ends, à l'occasion. Une manière de la remercier de ses bienfaits. Tous les jours, presque à treize heures, Mme Henriette se rend, juste avant la fermeture, chez Michel R., le charcutier qui tient boutique tout à côté de chez elle. Elle passe sa commande et Michel la taquine un peu sur son choix, sur sa tenue, aimables propos d'un commerçant de bonne humeur et d'une vieille dame qui n'a pas non plus sa langue dans sa poche. Parfois, Michel fait la livraison à domicile de ce que la vieille dame lui commande. Il en profite pour lui monter, du même coup, jusqu'au second étage, le vin et l'eau minérale qu'elle attend. C'est l'occasion de prendre un café ou un petit apéritif... Relations de bon voisinage comme on en trouve en province... De l'avis de tous, Henriette le traite comme s'il était son fils ; en échange, il la réjouit de sa bonne humeur perpétuelle. (à suivre...)