Mais c?était compter sans le climat délétère et l?influence mortifère qui régnaient sur le pays, qui déracinaient inexorablement tout ce qui était beau, tout ce qui était noble, tout ce qui faisait naître l?espoir et le renouveau. Comme tout ce qui avait résisté, jusque dans ses derniers retranchements, aux coups de boutoir d?une médiocratie assassine et qui avait fini par y succomber, le cinéma fut, à son tour, saigné à mort. Les acteurs et tous les hommes et les femmes qui donnaient vie au monde du cinéma, étaient réduits à un état de véritable indigence. Leur résistance héroïque, leur grande dignité et la haute idée qu?ils se faisaient de leur art, n?ont pas ému les maîtres du pays et tous ces «grands serviteurs de l?Etat» qui auraient pu faire quelque chose d?utile et leur venir en aide. Personne ne s?est dévoué pour sauver du naufrage ce monde qui s?enfonçait inéluctablement dans les abysses de l?indifférence. Le temps était à la gloutonnerie généralisée et au mensonge réducteur. La chose culturelle agaçait franchement. Pendant que des parvenus parasites se vautraient dans l?admiration de leur toute petite personne et roulaient sur l?or, nos vedettes de cinéma avaient le plus souvent bien froid. EIles étaient logées dans des conditions dégradantes. Celles d?entre elles, qui avaient eu la chance de se faire permaniser à la télévision ou dans les organismes étatiques du cinéma, touchaient des salaires de misère et souvent étaient réduites à emprunter auprès de leurs admirateurs des petites sommes qu?elles ne pouvaient même pas rembourser. Celles qui étaient payées au cachet vivaient une effroyable dèche et devaient se résigner à faire de petits boulots pour nourrir leurs familles. Certaines sont mortes indigentes et ont laissé leurs enfants dans le besoin et le dénuement. Sans que cela fasse rougir nos dirigeants pétaradants ! Comme si cela n?était pas suffisant, l?on décida, en haut lieu, d?achever la sale besogne et il fut mis fin à l?agonie du cinéma par des mesures dites de restructuration. Les sociétés et autres organismes qui parvenaient tant bien que mal à maintenir le septième art en vie furent liquidés avec une promptitude et une efficacité redoutables. Des hommes, connus pour leur vilenie et la laideur de leur vie, furent désignés pour lui donner le coup de grâce. Nous fûmes nombreux à pleurer la disparition de ce monde enchanteur. En vain ! Les fossoyeurs de l?espoir nous auront décidément tout pris !