Réflexion n Les rencontres sur Ibn Rochd, philosophe arabe et symbole de la pensée universelle, se sont poursuivies, jeudi, à la Bibliothèque nationale. C'est autour de «Replis identitaires, fin du cosmopolitisme» que s'est articulée cette deuxième journée à laquelle ont pris part écrivains, universitaires et historiens. Si l'histoire, et cela depuis la Grèce antique à la Sublime Porte en passant par la Rome impériale et le Maghreb médiéval, ne cesse d'enseigner à la société contemporaine les vertus de l'universalité, il se trouve que l'Homme, aujourd'hui, semble ne pas tenir compte de ces leçons de cohabitation et de convivialité entre les peuples, de respect et de partage culturel. L'on assiste, alors que l'on ne cesse de parler du fait de la mondialisation, à un repli identitaire et, pis encore, à une émergence galopante de l'intégrisme religieux, de l'extrémisme culturel et du blocage politique. La Méditerranée, autrefois appelée le Monde, a été, ces dernières années, vers la fin du XXe siècle, le théâtre de plusieurs conflits meurtriers, à savoir la guerre civile au Liban, les guerres aux Balkans… ; ces mêmes antagonismes continuent d'émailler son histoire récente dans certaines régions du pourtour, notamment au Proche-Orient. «C'est parce que nous n'avons pas su parler que nous n'avons pas su vivre ensemble», a dit Ghania Mouffok, journaliste, en faisant, en partie, référence à ce que l'Algérie a vécu lors de cette dernière décennie. Et d'ajouter : «Quand on réfléchit au "vivre ensemble", on pense souvent – et mécaniquement – à l'Autre. Or, sommes-nous capables de vivre ensemble entre nous-mêmes qui partageons une même sphère socioculturelle et un même espace géopolitique ?» Ainsi, «vivre ensemble» de l'intérieur s'avère plus difficile et complexe que d'assurer avec d'autres sociétés des échanges mutuels. Le repli identitaire semble indéniablement être la donne du monde actuel. Les sociétés contemporaines se traduisent par la peur et le refus de l'Autre, cet étranger, cet émigré qui porte en lui une différence. L'on assiste aux nettoiements ethniques et aux clivages culturels et aux cloisonnements religieux. Aujourd'hui, dans un monde marqué par un flux migratoire permanent et de plus en plus dense, les sociétés ne sont plus analogues. Les sociétés contemporaines présentent, en effet, d'étonnantes mosaïques de communautés religieuses, ethniques et culturelles. Mais cette pluralité s'avère idéologiquement structurée, hiérarchisée, calquée sur le modèle dominant/dominé. La classe dominante cultive son influence à l'égard des classes dites «minoritaires», «et la réussite d'une classe subalterne est une exception et non pas un acquis», a mentionné l'universitaire algéro-palestinienne Adila Laïdi-Hanieh. Peut-on alors parler dans ce contexte de cosmopolitisme, tel qu'il a pu se vivre dans le temps, comme l'Histoire nous l'enseigne, en Andalousie ou à Istanbul ? l Le repli identitaire s'accentue lorsque le cosmopolitisme vieillit, s'essouffle, s'affaiblit et s'effondre. «Les sociétés se réinventent alors dans ce qui est homogène et non pas dans la pluralité», a souligné l'historien turc Edhem Eldem. Il illustre sa réflexion par un épisode de l'Empire Ottoman, à savoir le déclin du sultanat. ? l'issue de la Première Guerre mondiale, la Turquie s'est réinventée dans une nouvelle spatialité que l'on appelle Ankara. Elle s'est réinventée également dans un nationalisme austère, une «turquicité» niant et excluant toute identité étrangère au discours idéologique, à l'époque, prôné et imposé par Atatürk. Le cosmopolitisme semble n'avoir d'existence que dans l'imaginaire de chacun – il s'agit là d'une utopie – et que selon les inspirations politiques des uns comme des autres. Car l'humanisme, qui a fondé philosophiquement la modernité, se heurte, aujourd'hui, aux crispations et aux blocages identitaires. L'on parle d'emblée de «choc des civilisations». Ces rencontres, qui se sont articulées autour du thème «Vivre ensemble», ont eu pour souci de réfléchir à comment assurer une coexistence, partager avec l'autre un même espace et, du coup, assurer des relations réciproques pour un cosmopolitisme constructif, transcendant les individualités.