"Nostalgie" Le fusil, le harpon et le poignard ne sont plus là. La boutique ressemble à un trou noir. Ancien armurier forcé de se reconvertir dans la quincaillerie, O. M., un sexagénaire encore bien sur ses jambes, regrette une seule chose dans sa vie : le fait de ne plus manier un fusil de chasse ou un poignard depuis quelques années. Un rituel sacré qu?il faisait naguère, durant ces années fastes au cours desquelles il titillait l?allégresse que procuraient la chasse du gibier ou ces longues et sulfureuses secondes d?apnée couronnées souvent par une belle moisson de dorades et de saumons, ces deux préférés d?entre tous. «Mais aujourd?hui, la vie n?a plus la même saveur», se désole-t-il, lui qui a bien mesuré l?ampleur des dégâts quand, durant les années 1990, un arrêté du ministère de l?Intérieur interdisait formellement l?achat et la vente de toutes sortes d?armes dans le but de lutter efficacement contre le terrorisme et les mille facettes de la violence. «Ce ne sont ni le couteau ni le fusil qui tuent, c?est la bêtise humaine. Tu laisses le couteau et le fusil à leur place, ils ne bougent pas», lance-t-il sur un ton sarcastique comme pour expliquer que son commerce n?a rien à voir avec la prolifération de la violence dans les milieux urbains. «On ne peut jamais éradiquer ce fléau rien qu?en interdisant la vente d?armes. Un mot peut vous tuer? alors !» «C?est une partie en moi qui s?est éteinte», renchérit-il, l?air dépité pour avoir perdu un métier hérité de son père. O. M. fait actuellement partie des quatorze armuriers qui ont dû se résigner à changer de cap pour un motif sécuritaire qui, pourtant, ne les concernait pas outre mesure. «Nous étions quatorze et nous nous connaissions parfaitement car nous faisions le même métier, c?était presque une histoire de famille.» Des années plus tard, la «famille» s?est disloquée et chaque membre a dû prendre sa propre trajectoire et verser dans une activité qui lui sied, en fonction des atouts dont il dispose. Dans sa modeste boutique de quincaillerie située à la rue Hassiba-Ben-Bouali, notre homme est fatigué, las de faire une chose qui ne lui tient pas à c?ur, qui ne l?emballe pas. Il laisse le soin à son fils de mener les affaires. «Dommage, j?aurais bien aimé qu?il apprenne le métier d?armurier, mon métier et celui de son grand-père? vraiment dommage !», ajoute-t-il. Sur les étals et dans la devanture, il ne manque que les fusils, les harpons et les poignards pour que le décor soit attractif. Il y a de tout : canifs, crans d?arrêt mais cette petite fortune n?égaye plus. C?est pour cette raison peut-être, et pour bien d?autres, que le vieil homme refuse de «se travestir» dans la quincaillerie, le métier de son fils?