Colère «Jamais je n?ai entendu parler d?une pareille horreur», s?écrie l?imam. Il s?appelle Layachi Harkati. Il a 31 ans mais paraît en avoir beaucoup plus. Toute la misère du monde se lit sur son visage tanné par les intempéries et creusé par les privations. Le vague métier, très occasionnel, d?aide-maçon qu?il exerce quand il peut, ne fait pas vivre sa petite famille. Il vient de perdre son fils unique, Aymane, âgé de trois ans. Ses parents et voisins qui l?entourent nous confient discrètement qu?ils ont dû cotiser pour l?aider à construire la modeste maisonnette en béton qu?il habite dans le quartier El-Foudhaoui. Le nom est suffisamment éloquent. C?est un quartier qui exhale la tristesse et la grisaille. Les ruelles sont en terre battue ou en macadam défoncé. Toutes les habitations sont en béton et en briques rouges, sans aucun crépissage et encore moins de ravalement. Ici, les gens ne s?encombrent d?aucun superflu, si tant est que badigeonner sa maison soit un luxe. El-Foudhaoui est une vraie cité-dortoir. Ses habitants n?y rentrent que pour dormir, après un frugal repas et une dure journée de travail, à Sétif ou ailleurs là où l?on veut bien de leurs bras. Layachi se lève à chaque fois que quelqu?un vient lui présenter ses condoléances. Il a les yeux rougis d?avoir trop pleuré. C?est grâce aux sermons de l?imam dans le cimetière que les sanglots trop longtemps contenus ont jailli de sa poitrine et qu?il a pu enfin pleurer son fils adoré, la lumière de ses yeux et l?unique consolation de sa triste vie. Dans son prêche, l?imam criait sa colère : «Jamais je n?ai entendu parler d?une pareille horreur. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment des enfants si jeunes peuvent tuer un autre qui est presque un bébé, qu?ils l?achèvent à coups de pied et qu?ils simulent un accident ?» A l?évocation de ce passage du prêche, les yeux de Layachi deviennent durs. Il nous apprend que l?un des deux petits meurtriers, le fils du policier emmenait son fils loin du domicile paternel et l?abandonnait, à chaque fois, très loin. Il nous dira qu?il avait éprouvé des doutes et qu?il ne comprenait pas pourquoi un enfant de douze ans s?entêtait à emmener un enfant de trois ans. Il nous avouera avoir frappé cet enfant et qu?il lui avait dit qu?il ne tolérerait plus qu?il approche Aymane. Celui, qui allait devenir le meurtrier de son fils lui répondra alors : «Un jour, je tuerai ton fils.» Il nous confiera qu?une autre fois qu?il s?était plaint à son voisin le policier du comportement étrange de son fils, celui-ci le menaça de son arme de service et lui aurait dit qu?il lui logerait une balle dans la tête s?il persistait à l?ennuyer. Layachi nous dira aussi qu?il avait vu du sang sur le pantalon du petit criminel alors que son fils n?avait aucune blessure qui saignait. Serait-ce un indice de viol. Mais un enfant de douze ans peut-il seulement en être capable ? Ces propos gravissimes nous seront livrés devant de nombreux témoins. Ce drame indicible a jeté l?émoi dans ce quartier défavorisé et dans toute la région. Jamais on n?avait entendu parler d?une aussi effroyable tragédie. On dit que la jeune maman est inconsolable et qu?elle est sur le point de perdre la raison. Tout autour de Layachi, voisins et parents ont le visage fermé, les mâchoires crispées. Ces gens humbles sont écrasés par la pauvreté. Mais la grande dignité qu?ils portent comme un diadème les honore.