Exposition n Sur les hauteurs vertigineuses de l'ex-rue Claude-Debussy, l'espace «Noun» apparaît comme un endroit discret, mais enchanteur. Le visiteur peut y découvrir les tableaux de Nourredine Chagrane, exposés sur les murs de cet enclos douillet, depuis le 26 de ce mois. Lieu privilégié d'artistes et d'écrivains de tous bords, cette librairie qui fait aussi office de galerie d'art, de salle de rencontre pour les récitals poétiques, accueille occasionnellement des peintres. Artiste émérite, plusieurs fois primé, graphiste ingénieux, symboliste audacieux, Nourredine Chagrane est le parfait disciple du maître Issiakhem dont il se réclame d'ailleurs. Natif de Rabat, une ville du Maroc, en 1942, après plus de trente-cinq ans de carrière jalonnée de nombreuses expositions individuelles dont 23 collectives à travers les capitales du monde entier, notre peintre continue son petit bonhomme de chemin, en exposant, cette fois, une série de 30 aquarelles aux couleurs très chatoyantes. Sous l'intitulé «Expression autour du Noun», le regard du visiteur est invité à admirer des aquarelles aux ombres pastel. Les coloris d'où se dégage une aura de sérénité forment une palette de couleurs chaudes caractéristiques des pays de la Méditerranée. La prédominance du bleu clair évoque les attraits célestes et évanescents du ciel. Le rose et le mauve suggèrent un univers pictural tout en couleur. Quant au vert, il rappelle une nature aux configurations minérales. Quelques traits sombres tracés au pinceau marquent le contour des formes depuis les origines de la lettre arabejusqu'aux profondeurs du signe ancestral. Dans la lignée des peintres qui excellent dans l'art du symbolisme, les peintures de Chagrane s'inscrivent toutes dans la perception imagée du signe. Ce dernier emprunte aux tapisseries berbères les motifs géométriques avec un regard contemporain. Une lettre, le «Noun» de l'alphabet arabe semble qualigraphier ces signes dans l'alchimie des sens qu'épouse le trait. Chez notre peintre, l'esprit n'a pas toujours la primauté sur la matière. C'est plutôt l'inverse. Aux sources du mouvement largement artistique du groupe «Aouchem», Chagrane établit une osmose originale entre la lettre, la couleur, le signe et la forme. Tel un ballet de signes enchevêtrés les tableaux traduisent une belle polychromie dansante. Le signe s'exécute ainsi devant un espace sans cesse en mouvement et où la luminosité de la couleur réinvente les courbes féminines. La forme matérialise des corps qui sont des esquisses où la joie, la légèreté d'être, la vie ardente sont les maîtres-mots. Le «noun» s'incorpore alors comme une note de musique dans une chanson et fait vibrer l'ensemble dans un espace aérien. Les aquarelles de M. Chagrane dans leur composition hérétoclite sont, en fait, des odes à la vie qui célèbre la création du monde. De ces instants captifs, l'artiste a su créer des formes et harmoniser les lignes arrondies.