Les lieux réservés aux livres, selon Cheikh Al Akbar Ibn Arabi, demeureront les frères jumeaux des paradis. C'est ce couple plein d'énergie et d'amour au livre qui a donné vie et parfum à ce petit lieu appelé “Espace Noun”. Nacéra Saadi et Kiki, deux fous de la littérature et de l'art, ont transformé la rue Colonel Chaâbani en un lieu de rendez-vous d'intellectuels algérois et algériens. “Espace Noun” a volé son nom de la lettre arabe “Noun” qui est le significatif de la femme. Mais aussi “Noun” est la lettre que Dieu a utilisée pour témoigner et jurer. “Espace Noun” est une librairie-galerie, petite en espace, quelques mètres carrés, mais géante dans le rêve et grande par les amis. Par la mort programmée de l'“Espace Noun”, situé dans la rue Chaâbani, Alger, perdra une partie de son âme. Par la fermeture de “Espace Noun”, le colonel Chaâbani mourra une deuxième fois. Lui qui était, sans doute, content de voir son nom jumelé à ce lieu de livre et d'art. Encre savante et sang martyr ! Aujourd'hui Chaâbani est triste. Blessé ! Et quand les martyrs sont blessés dans leur confortable mort, l'âme souffre. Saigne. Nacéra et Kiki mènent depuis une décennie un combat noble, celui de chercher à rendre le plaisir du livre une quotidienneté algéroise et algérienne. C'est difficile de “parler livre et lecture” dans ce temps où la “pizza” et “Quick” avancent, sans merci, dans les têtes et sur tous les fronts. Mais ce couple, sans relâche, sans fatigue, nous apprend que “la poésie et le roman” ont leur force magique. Par leur courage, leur amour, Nacéra et Kiki nous enseignent la plus profonde leçon : “la poésie est capable de vaincre la pizza”. Il y a de cela quelques années, le couple mordu de la lettre “Noun”, avec tout ce que cette lettre dégage de symbolique, avait dressé leur tente “Espace Noun” dans l'ex rue-Debussy, avant que le propriétaire récupère son magasin. Resté fermé jusqu'à nos jours. Un défi, quelque temps après, et le couple dressa sa “tente” dans la rue Chaâbani. Deux nomades en pleine cité, au centre d'Alger. “Espace Noun” était, depuis sa création, un lieu de débat, un rendez-vous, une destination d'un lectorat averti et d'intellectuels : écrivains, peintres, photographes, dramaturges… tribu des lettres et arts. Accueillis, dans “Espace Noun”, on est sous le toit d'une maison de respect, d'échange, de différence et de convivialité. Cet espace était plus grand que “vendre ou acheter” un livre. Il fut un lieu pour “vivre” le livre. Pour respirer le parfum “Culture”. Et parce que le livre est le garant de la culture de la citoyenneté, dès qu'une librairie meurt dès qu'un espace réservé au livre s'éclipse, il faut crier haut et fort : en tant que gardien de la citoyenneté, l'Etat doit jouer son rôle pour le respect et la préservation de ces espaces nobles. “Espace Noun” est mort, assassiné, cela signifie que sur nos têtes, sur Alger, la nuit est tombée à midi. Malédiction ! A. Z. [email protected]