Culture n Tous les marins pêcheurs ont un sobriquet. «Parce qu'au large nous sommes d'autres personnes, mais peut-être, aussi, c'est une inspiration de la grande bleue !», explique un pêcheur. Il est 20 heures, les pêcheurs à bord de l'«Ilham», le nom de leur chalutier, sont fin prêts pour embarquer et faire leur énième sortie nocturne au large. Ils ont passé toute la journée à réparer leurs filets de pêche usés par le temps. Six personnes composent l'équipage de ce petit chalutier de 6 mètres. Hamid, 55 ans, est le raïs. C'est lui qui commande. Il a 23 ans d'expérience et tout le monde le respecte. Omar, 28 ans, est l'indispensable mécano. Sans lui il n'y a pas de sortie. Les quatre autres pêcheurs sont des jeunes qui ont entre 22 et 30 ans. Le raïs effectue une dernière vérification avant de prendre le large. Tout est en règle, la radio est opérationnelle, les réserves en eau sont suffisantes, les sacs de nourriture sont sur place et même la grande thermos de café chaud est préparée. Le café ne quitte jamais les pêcheurs. «Question d'être toujours éveillés et dynamiques», explique Hamid. 20h 40. On met les moteurs en marche, le chalutier bleu quitte le quai. Direction : la Méditerranée. Mission : une nouvelle aventure pour affronter la grande bleue et revenir avec une prise, qu'ils espèrent importante. A peine quelques miles marins au large et l'ambiance commence. Les uns chantent, les autres dansent autour d'une petite résistance électrique parce qu'il fait frais ce soir. On met la radio. Des chansons raï très branchées y sont diffusées… Le raïs a fait l'exception, il est en train de lire son journal dans sa cabine. «Je suis comme ça, je n'aime pas trop m'amuser. C'est moi le responsable ici. Mais leur bonheur et leur sécurité me préoccupent beaucoup», dit-il. Après une heure de navigation, à quelque 6 km du rivage, on aperçoit d'autres sardiniers (le nom des chalutiers chez les pêcheurs). Le travail sérieux des pêcheurs commence maintenant. Le raïs demande à son équipage de se préparer. On prépare le filet et on le largue. Long de 250 m, le filet est jeté en rond. Le chalutier fait un tour de près de 500 mètres. Le raïs ordonne qu'on jette à l'eau le «sondeur», appareil qui capte les mouvements sous-marins des poissons. C'est bon ! La sardine est abondante dans ce lieu. On allume de grands projecteurs du côté opposé au lieu où a été largué le filet. «C'est pour aveugler le poisson et le contraindre à se diriger vers le filet pour l'emprisonner», explique Hamid. Les pêcheurs crient, hurlent pour «effrayer !», le poisson disent-ils. «La sardine capte toute onde sonore et se dirige instinctivement dans le sens inverse de sa source d'émission», explique Hamid. Après une heure de travail ardu, on commence à tirer le filet. C'est l'attente et la psychose à bord de l'«Ilham». La prise est-elle bonne ce soir ? Qu'y a-t-il dans le filet, de la sardine seulement ou d'autres espèces de poissons ? Déception pour ce soir sur l'«Ilham». Le butin est composé seulement de sardines et de quelques petites espèces. Pas un seul thon, le trésor des pêcheurs. On ne se décourage pas quand même, on vide le filet et on commence à remplir les casiers en bois tout en prenant soin de séparer les petites sardines des grosses. «Les prix sont différents au moment de la vente», souligne Hamid. Il est 2 heures du matin, la tâche est achevée. Les pêcheurs lassés et déçus ont maintenant droit à un petit repos. Rabah, le cuisinier, entre dans sa petite cuisine pour préparer un petit-déjeuner. Aujourd'hui ce sont des omelettes au fromage. «C'est très rare que nous mangions du poisson ici. L'odeur de la sardine, nous en avons marre», explique Rabah. Quelques pêcheurs dégustent leurs plats accompagnés d'une bouteille de Coca-Cola… Après le déjeuner nocturne, les marins fument et prennent du café, mais leur goût pour le chant et la musique a diminué. Ils sont fatigués et la meilleure chose à laquelle ils aspirent c'est un bon somme à l'arrière du chalutier. Ce que quatre d'entre eux ne tardent pas à faire. On redémarre les moteurs et on revient vers la rive. Il est 6 heures du matin et les lueurs de l'aube se dessinent à l'horizon. Après une demi-heure de navigation la terre apparaît, la nuit des pêcheurs est terminée, mais une nouvelle aventure les attend ce soir même…