Résumé de la 35e partie n Continuant leur périple, amassant du butin, Kanmakân et le Bédouin Sabah rencontrent le chrétien Kahroudash. Et alors luttèrent les deux guerriers, et les chevaux s'entrechoquèrent comme deux béliers s'entrencornant ou deux taureaux s'entreventrant. Et plusieurs passes terribles restèrent sans résultat. Puis soudain Kahroudash, de toute sa force, poussa sa lance contre la poitrine de Kanmakân ; mais celui-ci, d'une volte rapide de son cheval, sut l'éviter à temps et, se tournant brusquement, détendit son bras, la lance en avant. Et du coup il perfora le ventre du chrétien en faisant sortir par son dos le fer reluisant. Et Kahroudash cessa à jamais de compter au nombre des guerriers mécréants ! A cette vue, les cavaliers de Kahroudash se confièrent à la rapidité de leurs chevaux et disparurent au loin dans la poussière, qui les masqua. Alors Kanmakân, essuyant sa lance sur les corps étendus, continua sa route en faisant signe à Sabah de pousser en avant les troupeaux et les esclaves. Or, c'est justement après cet exploit que Kanmakân rencontra la négresse errante du désert, qui racontait, de tribu en tribu, des histoires sous la tente et des contes sous les étoiles. Et Kanmakân qui en avait si souvent entendu parler, la pria de s'arrêter se reposer sous sa tente et de lui raconter quelque chose qui lui fît passer le temps et lui réjouît l'esprit en lui dilatant le cœur. Et la vieille errante répondit : «Avec amitié et respect !» Puis elle s'assit à côté de lui, sur la natte, et lui raconta cette histoire du mangeur de hachisch : «Sache que la chose la plus délicieuse dont mon oreille se soit réjouie, ô mon jeune seigneur, est cette histoire qui m'est parvenue d'un hachasch d'entre les hachaschîn ! Il y avait un homme qui adorait la chair des vierges...» A ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement. Elle dit : «Il y avait un homme qui adorait la chair des vierges et dont c'était le seul souci. Aussi, comme cette chair est d'un prix très élevé, surtout quand elle est choisie et sur commande, et comme nulle fortune ne peut résister indéfiniment quand les goûts de son propriétaire sont si coûteux, l'homme en question, qui ne prenait jamais de repos à ce sujet et se laissait ainsi aller à l'intempérance de ses désirs — car en toute chose il n'y a que l'excès qui soit répréhensible — finit par se ruiner complètement. «Or, un jour que, vêtu d'habits sordides et pieds nus, il marchait dans le souk en mendiant son pain pour s'en nourrir, un clou lui entra dans la plante du pied et fit couler son sang avec abondance. Alors il s'assit par terre, essaya d'étancher le sang et finit par bander son pied avec un morceau de chiffon. Mais, comme le sang continuait à couler, il se dit : ”Allons au hammam nous laver le pied et le plonger dans l'eau : cela lui fera du bien.” Et il alla au hammam et entra dans la salle commune où vont les pauvres gens, mais qui tout de même était exquise de propreté et reluisait à charmer, et il s'accroupit sur le bassin central et se mit à se laver le pied. «Or, à côté de lui, un homme était assis qui avait fini de prendre son bain et qui mâchait quelque chose entre les dents. Et notre blessé fut très excité par la mastication de l'autre, et l'envie le prit ardemment de mastiquer aussi de ce quelque chose. Alors il demanda à l'autre : ”Que mâches-tu ainsi, mon voisin ?” Il répondit à voix basse, pour que personne ne l'entendît : ”Tais-toi ! C'est du hachisch ! Si tu veux, je vais t'en donner un morceau.” Il dit : ”Certes ! j'en voudrais goûter, depuis le temps que je le souhaite !” Alors l'homme qui mastiquait retira un morceau de sa bouche et le donna au blessé en lui disant : ”Puisses-tu t'alléger de tous tes soucis !” Et notre homme prit le morceau et le mâcha et l'avala en entier.» (à suivre...)