Résumé de la 30e partie n Kanmakân, inconsolable, s'endort sous un arbre. Une poésie le tire de son sommeil. Ah ! Pulpe de mon cœur, un scorpion t'a piquée. Viens, amie ! Je guérirai, de l'antidote de tes lèvres, en humant leur salive et ta fraîcheur !» Lorsque Kanmakân eut entendu pour la seconde fois ce chant de l'invisible, il essaya encore de voir dans les ténèbres ; mais comme il ne put y réussir, il monta sur le sommet d'un rocher et, de toute sa voix, il clama... A ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et se tut discrètement. Lorsque fut la cent quarantième nuit, elle dit : ...Il monta sur le sommet d'un rocher et, de toute sa voix, il clama : «O passant dans les ténèbres de la nuit, de grâce rapproche-toi d'ici que j'entende ton histoire qui doit ressembler à mon histoire. Et nous essaierons de nous distraire mutuellement !» Puis il se tut. Au bout de quelques instants, la voix qui avait chanté répondit : «O toi qui m'appelles, qui donc es-tu ? Es-tu homme de la terre ou génie souterrain ? Si tu es un génie, continue ton chemin ! Mais, si tu es un homme, attends ici l'apparition de la lumière ! Car la nuit est pleine d'embûches et de trahisons !» A ces paroles, Kanmakân se dit en lui-même : «Sûrement, le propriétaire de la voix est un homme dont l'aventure ressemble étrangement à la mienne !» Puis il resta sans plus bouger jusqu'à l'apparition du matin. Or, il vit s'avancer vers lui, à travers les arbres de la forêt, un homme vêtu comme les Bédouins du désert, grand et armé d'un glaive et d'un bouclier ; et il se leva et le salua ; et le Bédouin lui rendit son salut et, après les formules d'usage, le Bédouin lui demanda, étonné de son jeune âge : «O jeune homme que je ne connais pas, qui donc es-tu ? A quelle tribu appartiens-tu ? Et quels sont tes parents chez les Arabes ? En vérité tu es d'un âge où l'on ne voyage pas seul dans la nuit et dans les contrées où l'on ne voit que troupes armées. Raconte-moi donc ton histoire.» Kanmakân dit : «Mon grand-père était le roi Omar Al-Némân ; mon père, le roi Daoul'makân, et je suis moi-même Kanmakân qui brûle d'amour pour sa cousine la princesse Force-du-Destin !» Alors le Bédouin lui dit : «Mais comment se fait-il qu'étant roi fils de rois, tu sois habillé comme un saâlouk et voyages sans une escorte digne de ton rang ?» Il répondit : «Je me ferai désormais mon escorte moi-même et je commencerai par te prier d'être le premier à en faire partie !» A ces paroles, le Bédouin se mit à rire et lui dit : «Tu parles, ô jeune garçon, comme si tu étais déjà un guerrier accompli ou un héros illustré dans vingt combats ! Or, pour te démontrer ton insuffisance, je vais à l'instant m'emparer de toi pour que tu me serves comme esclave ! Et alors, si vraiment tes parents sont des rois, ils seront assez riches pour payer ta rançon !» Et Kanmakân sentit la fureur lui jaillir des paupières et il dit au Bédouin : «Par Allah ! nul ne paiera ma rançon que moi-même ! Garde à toi, ô Bédouin ! A entendre tes vers, je t'avais cru doué de manières exquises...» Et Kanmakân sauta sur le Bédouin qui, pensant ne faire qu'un jeu de cet enfant, l'attendait en souriant. Mais comme il le pensait à tort ! En effet, Kanmakân, dans un corps à corps avec le Bédouin, se campa solidement en terre, sur des jambes plus solides que des montagnes et plus d'aplomb que des minarets. Puis, s'étant bien consolidé en s'appuyant, il serra contre lui le Bédouin à lui faire craquer les ossements et à lui vider les entrailles ! Et soudain il le souleva de terre dans ses bras, et, ainsi chargé, il courut à grands pas vers la rivière. Alors le Bédouin, qui n'avait pas encore eu le temps de revenir de l'effarement de voir tout à coup se révéler une telle force chez cet enfant, s'écria : «Que vas-tu faire ainsi, me transportant vers l'eau du courant ?» Et Kanmakân répondit : «Je vais te précipiter dans ce courant qui te portera jusqu'au Tigre, le Tigre te portera jusqu'au Nabr-Issa ; le Nahr-Issa te portera jusqu'à l'Euphrate ; et l'Euphrate alors te conduira jusque vers ta tribu !» (à suivre...)