L'Algérois est nerveux au volant, surtout quand il n'a pas mangé et bu, et encore plus quand il sait qu'il ne doit pas le faire. Et pour le montrer — parce qu'en général, il ne le fait pas s'il n'est pas vu — il est odieux au volant. Impossible de croiser, durant ce mois sacré, un automobiliste souriant, durant la journée bien évidemment. L'automobiliste algérois est persuadé que la priorité lui est fournie avec le permis de conduire ou qu'elle lui est délivrée spécialement dès qu'il entre en possession d'une certaine gamme de voiture. Donc on ne doit surtout pas interrompre sa route quand il est en voiture. Il a beau être un agneau dans la vie de tous les jours, dès qu'il chevauche sa monture en acier, il devient instantanément l'ogre agressif capable d'insulter une femme ou un vieux dont l'âge avoisine celui de son grand-père sans se sentir le moins du monde honteux. Ses nerfs sont d'autant plus éprouvés en ce mois sacré que les bouchons sont plus fréquents. Non seulement les gens sortent du travail pratiquement tous à la même heure, mais beaucoup font des va-et-vient incessants pour satisfaire leurs manies ramadanesques. Ils n'hésitent pas à faire plusieurs dizaines de kilomètres par jour pour acheter du pain de seigle à Ruisseau, du pain brioché et de la fougasse à Vieux-Kouba, des kalbellouz au Sacré Cœur, des zlabia à Boufarik… Et c'est ainsi que le jeûneur se retrouve pris dans un cortège désorganisé entre les flots de voitures qui vont presque tous, inconsciemment, aux mêmes endroits, le bouche à oreille étant une spécialité locale, ce qui crée un brouhaha incessant de klaxons strident qui ne s'interrompent que quelques minutes avant l'appel du muezzin pour la rupture du jeûne, comme pour appeler les gens à mettre fin à ce capharnaüm.