Les rues de Bab El-Oued, ininterrompues comme un oued en crue, arrivent à peine à contenir une foule bigarrée qui éprouve du mal à marcher sur des trottoirs squattés par des marchands à la sauvette proposant confiseries, gâteaux orientaux, zlabia faussement boufarikoise aux côtés de jeans, montres made-in contrefaçon, livres et CD religieux très prisés en cette période. Sur le macadam, les voitures roulent au ralenti avec des klaxons intermittents. Le brouhaha d'une vie nocturne où le silence n'a pas droit de cité s'entremêle avec le crépitement des coups de dominos qui jaillissent chaque instant des ténébreux cafés maures. Dans ce tohu-bohu, l'innénarable El-Ankiss trouve tout de même une petite «parcelle» pour dorloter son si cher El-Maknine Ezzine. Seuls les deux-roues trouvent le bon moyen, par des zig-zag acrobatiques, de se faufiler entre les véhicules et de se frayer un chemin dans le long et éreintant bouchon qui, selon un chauffeur, «ne fait qu'esquinter la boîte de vitesses». Derrière le marché Nelson, le plus célèbre du quartier, une dizaine de jeunes, en petits groupes de quatre, passent le temps en jouant aux cartes, le dos oblique, tels des automates, avec un air sérieux qui rappelle les pires moments des examens à la fac. Dans les mahchachate à ciel ouvert, Ils ne se soucient ni des quelques filles qui passent ni des tonnes d'humidité qui commencent à peser lourd sur les têtes. Ce qui importe pour eux, c'est comment arriver à imposer les cartes maîtresses tout en profitant de la moindre maladresse de l'adversaire. Car au bout, c'est la victoire qui se dessine pour peu qu'on reste éveillé.