Plus on parle d'éradication du marché dit informel et plus celui-ci prend de l'ampleur, au point de dépasser, en termes de chiffres, le nombre de commerçants disposant d'un registre du commerce. A dire vrai, le négoce parallèle, appelé par fausse pudibonderie marché informel, se montre plus tenace, bravant la puissance publique qui, en dépit du cadre législatif et réglementaire, peine à l'éliminer, du moins le réfréner. La traque des agents de police, qui consistait à ne pas laisser les petits revendeurs à la sauvette squatter les espaces publics, fait partie d'une autre époque. Aux abords de chaque cité, le commerce informel accapare rues, ruelles, débordant sur la chaussée. Les revendeurs, sans gêne aucune, dressent leurs éventaires de fruits et légumes, la gamme de l'agroalimentaire, la panoplie de cosmétiques et lingerie, les ballots de fripe, les cigarettes et autres joyeusetés pour les bambins. Les propriétaires de magasins assujettis à l'imposition fiscale n'ont d'autre choix que de subir ce négoce déloyal. « Tôt le matin, nous marquons l'endroit immédiat de nos magasins avec des caisses et cageots pour ne pas céder la place aux vendeurs informels qui obstruent le passage », nous disent des propriétaires de magasins qui gravitent autour du marché des Trois Horloges de Bab El Oued. Le soir, les étals sont alimentés en électricité, à partir des balcons de locataires, moyennant, il va sans dire, le sou. Aussi, les esprits s'échauffent vite dans ces lieux fébriles où tout échappe au contrôle sanitaire. « Il ne se passe pas un jour où l'on n'assiste pas à des rixes et esclandres qui, parfois, dégénèrent en drames, notamment lors du mois de Ramadhan », soulignent des riverains qui peinent à rallier leur domicile. « Tout est bouclé, et on doit enjamber les étals qui bouclent le passage ». Il est très difficile, en effet, de se frayer un chemin et cela devient une véritable foire d'empoigne. Chacun en fait à sa tête. « Chaque empan de trottoir est squatté par ces petits nababs de la rue qui imposent leur diktat », renchérissent des habitants de l'ex-rue du Moulin conquise, à leur grand dam, le long de la journée jusqu'à la Basetta. Dans la rue, on racole mieux ! A bien y voir, les petits revendeurs qui ramassent gros racolent mieux les chalands et tirent de meilleurs dividendes en étalant leurs éventaires à même le sol, nous fait remarquer un vendeur de produits de pacotille made in China. D'autres imputent cette situation de commerce déloyal aux autorités qui tardent à leur fournir un espace réglementaire. Pourtant, à un jet de pierre, l'exemple de l'aménagement du marché de la fripe de Zoudj Aâyoun, affecté aux vendeurs qui avaient pignon sur rue le long de la rue Bouzrina, est on ne peut plus édifiant. Libérée manu militari, ladite rue n'a pas tardé à être réinvestie par de nouveaux « conquérants » pour engorger de plus belle et le passage piéton et la chaussée. Et comme l'usage devient force de loi, les vendeurs illicites bombent leur torse. Ils n'ont cure de la nuisance acoustique qu'ils causent au voisinage, tout en bravant les brigades mixtes (direction du commerce d'Alger) et BHC (Bureau d'hygiène communal). Ainsi, toutes les rues adjacentes au marché des Trois Horloges sont envahies tôt le matin par les squatters qui installent des tables de fortune pour écouler leurs produits dans un brouhaha indescriptible, « pénalisant », dans la foulée les commerçants de fruits et légumes qui exercent dans la légalité. Il est vrai que le chômage pousse de nombreux citoyens à apprendre à se débrouiller comme ils le peuvent pour subvenir à leurs besoins, mais lorsqu'on n'hésite pas à pirater l'énergie électrique à partir des supports assurant l'éclairage public, cela devient un véritable défi lancé à la puissance publique. L'occupation clandestine donne des idées La débrouillardise devient de facto le maître mot des sans-emploi qui n'en font qu'à leur tête. L'occupation clandestine donne des idées. « On vend ou on loue même des tables installées dans la rue à d'autres revendeurs », révèle un jeune chômeur. En voulant connaître la version du premier magistrat de la commune de Bab El Oued Casbah sur cette anarchie qui prolifère, ce dernier nous a fait savoir qu'il y a une année, un lieu désaffecté appartenant à la SNTA, situé du côté de la rue Rachid Kouache, a commencé à faire l'objet d'un réaménagement en marché de 176 étals et 79 locaux pour « parquer » ceux qui congestionnent les abords du marché des Trois Horloges. Mais les riverains n'ont pas tardé à réagir pour faire capoter le projet. Ces derniers ont transmis une pétition aux autorités locales pour qu'elles se ravisent d'installer le marché dans leur cité. Un problème qui taraude l'esprit du maire qui reste dans l'expectative. Une puissance publique qui s'essouffle, aussi, dans la mesure où elle peine à trouver la solution idoine susceptible de canaliser le débordement d'une activité qui échappe et au fisc et à l'autorité sanitaire.