L'exode des compétences nationales ne se fait pas uniquement vers l'étranger ; il est aussi interne puisque nos entreprises nationales sont désertées au profit des multinationales. Mais quand on connaît les avantages offerts par les unes et les autres, on ne peut que comprendre le phénomène. Les statistiques lui donnent raison : en dix ans, Sonatrach a perdu entre 30 et 40% de ses cadres, formés à coup de millions à l'étranger, au profit des sociétés pétrolières étrangères activant en Algérie et qui «dopent les salaires même avec des contrats CDD renouvelables», selon un expert du marché du pétrole. Ce taux n'inclut évidemment pas les cadres supérieurs qui ont quitté le pays pour aller faire leurs preuves à l'étranger, dans le Golfe des pétrodollars notamment. La saignée au sein de la première entreprise du pays, véritable poumon et le placenta dans lequel s'abreuve l'Algérie, est continuelle et chronique. A quoi est dû ce préjudice ? «On ne fait rien pour retenir les meilleurs», a martelé Abdelmadjid Attar, ancien P-DG de Sonatrach, lors de son intervention au débat organisé récemment par le FCE, à l'hôtel El-Aurassi, autour de cette «catastrophe économique». «Le véritable problème de Sonatrach, au même titre d'ailleurs que les autres entreprises nationales, c'est qu'il n'existe guère de plan de carrière pour les travailleurs. Les gens sont donc devant une grande inconnue et, au bout, ils ne se privent pas d'aller travailler là où on va leur quadrupler ou quintupler le salaire, sans compter aussi les autres avantages», a-t-il argumenté, se disant lui-même, en tant que premier responsable de Sonatrach et avec un salaire mensuel de 120 000 DA, victime de cette politique. «Comparé à ce que touchent les patrons des firmes étrangères, je peux vous dire que je faisais partie des smicards. Oui franchement, je touchais le Smig !» Sonelgaz, pour sa part, a vu partir 25% de ses cadres supérieurs, essentiellement des ingénieurs en industrie des réseaux, vers des firmes turques, chinoises, libanaises, italiennes et américaines installées en Algérie, et chez lesquelles, comme le signale l'universitaire Abdelouahab Rezig, «l'environnement managérial est, pour le moins, propice aux diplômés qui aspirent à gérer convenablement leur carrière». Pour appâter les meilleurs, ces sociétés étrangères excellent en «bodyshopping» et sont coupables, aux yeux de beaucoup, de vouloir vider nos entreprises de leur «substance grise», ne lésinant pas sur les moyens pour espérer réaliser, avec le capital humain, une valeur ajoutée inestimable. Monts et merveilles sont promis aux candidats acceptés : salaires astronomiques, véhicules, primes et avantages socioprofessionnels à la pelle. «Ce dont justement rêvent nos cadres auxquels on n'offre pas les commodités voulues», estime le même universitaire. La fuite des cadres les plus compétents vers des cieux plus cléments est donc motivée, en grande partie, par les commodités matérielles, ce qui n'est pas sans conséquence sur les entreprises formatrices. Car outre les sommes colossales déboursées dans la formation et le recyclage — du reste non fructifiés —, ces sociétés auront un manque à gagner pour ce qui est de la valeur ajoutée que chaque diplômé et chaque cadre auraient pu générer. Et lorsque face à cette saignée, l'on doit faire appel en urgence à l'expertise étrangère et aux coopérants, à coup de devises évidemment, le fardeau financier ne peut être que plus lourd à porter.