Résumé de la 1re partie n Ursula tient une confiserie. Un soir, l'église voisine prend feu et l'incendie se propage au cimetière. Le quartier est triste. Les pans de murs lézardés, les morceaux de poutres calcinés font un décor lugubre. Une église incendiée, c'est étrange. Comme une punition du ciel. Les enfants ne jouent plus dans le terrain vague qu'est devenu le cimetière. Les vagabonds ne vont plus se réfugier contre les murs et sous le porche, les chats se battent la nuit entre les tombes couvertes d'une cendre gluante qui se solidifie peu à peu. Les mois passent. Et un jour arrive le bulldozer. Jaune, énorme, muni d'une pelle excavatrice aux dents acérées. Il fait un bruit épouvantable en s'attaquant aux ruines, mais les habitants du quartier sont très contents. Ursula, sur le pas de la porte de sa boutique, en discute avec un voisin. «Pas trop tôt, depuis le temps qu'on attendait ça. Enfin la paroisse a réagi, si c'est pas malheureux tout de même… Vous savez que j'ai failli brûler aussi ? — Je me demande quel genre d'église ils vont nous faire... — Oh, du béton sûrement. Les gens ne jurent plus que par le béton...» Ursula aperçoit le chef de chantier qui hurle des ordres à une autre pelle mécanique, venue en renfort s'attaquer au cimetière. Curieuse comme une pie malgré son âge déjà canonique, elle trottine jusque-là pour se mêler de ce qui la regarde. «Lui aussi vous allez le raser ?» Le chef de chantier fait signe qu'il entend mal, et Ursula montre les tombes déglinguées, les croix en miettes. «Depuis le temps qu'il est abandonné ! Personne n'a fait de réclamation... On rase !» Ils rasent. Voilà. Tous ces pauvres morts d'au moins deux cents ans, abandonnés de tous, dormaient tranquilles jusqu'ici dans le fouillis des plantes et des fleurs. On ne voyait pas qu'il était en ruine, c'était un havre de paix. Une odeur de vieille terre envahit l'atmosphère. La pelle mécanique, qui s'était attaquée au portail de fer forgé, vient de céder la place à l'énorme bulldozer jaune. Entre ses griffes, il ramène des gravats et des cendres qu'il balance dans une benne derrière lui. Ursula dit à un badaud, un vieux monsieur amateur de thé de Chine qu'elle connaît bien : «Les pauvres morts... — Il n'en reste rien depuis longtemps, vous pensez. Le cimetière était encore plus vieux que l'église... Saviez-vous que la tombe la plus récente remontait à 1717 ? Mais soudain Ursula lève une main affolée, et se met à crier : «Arrêtez... arrêtez... mon Dieu...» Et elle court vers le bulldozer. Elle vient de voir quelque chose, qui a échappé à l'œil du conducteur de l'engin. L'énorme pelle dentelée tient un squelette entre ses dents. Le chef de chantier siffle, un grand silence soudain envahit le chantier, et quelqu'un dit : «Je croyais qu'il n'y avait plus rien là-dedans...» Un autre : «Même le curé l'avait dit...» Et un autre : «Moi, je vous dis que mon grand-père racontait qu'il y avait un autre cimetière sous l'église, un plus vieux encore...» Le conducteur de l'engin remet le moteur en route, descend doucement la pelle dentelée jusqu'au sol, l'ouvre, et dépose délicatement le squelette à terre. King-Kong manipulant une poupée... Le chef de chantier fait prévenir la police et l'entrepreneur râle. (à suivre...)