Nul n'a encore pu déterminer s'il existait ou non un gène propre à l'assassin. S'il y avait quelque part, enfoui dans le cerveau de ceux qui tuent, l'instinct du crime. Probablement parce que le fait de tuer est le résultat d'un mélange, de l'association de plusieurs éléments. Untel qui tue n'aurait peut-être pas tué si... la jaIousie, la passion, l'ambition, la haine, le lucre, la faiblesse, la peur, la provocation n'avaient joué un rôle déterminant. Mais tel autre, placé devant les mêmes circonstances, ne tuera pas. L'explication la plus simple d'un meurtre ou d'un assassinat, c'est que celui qui tue se débarrasse d'un problème vivant. S'il s'agit d'un meurtre, il s'en débarrasse de manière impulsive. Une réaction, en quelque sorte. S'il s'agit d'un assassinat, il s'en débarrasse après mûre réflexion. Avec préméditation. Et le meurtrier n'est pas condamné, en principe, aussi gravement que l'assassin. Le meurtrier a des circonstances atténuantes. L'assassin n'en a guère. Prenons un homme exaspéré par sa femme, une harpie dotée de tous les défauts, une véritable pousse-au-crime. S'il l'étrangle dans un mouvement de colère... on le lui pardonnera relativement. En revanche, un homme qui veut se débarrasser de sa femme pour en prendre une autre, ou hériter, ou Dieu sait quoi d'autre, simplement parce qu'elle l'embarrasse, s'il l'étrangle en disposant soigneusement un piège, en faisant croire, par exemple, qu'elle s'est pendue toute seule, on ne le lui pardonnera pas. L'assassin de madame Stephanie Cordelle, à New York, en 1968, et l'assassin de madame Elena Strauss, à Munich, en 1968, n'appartiennent pas à ces deux catégories. Il en est une troisième, rare heureusement. Exceptionnelle. Sauf dans les films d'Hitchcock ou les romans policiers. Les auteurs du crime parfait. Dont chacun sait, en principe, qu'il n'existe pas. Puisque chacun n'a en mémoire que des tentatives de crimes parfaits... qui ratent. Voici donc, pour illustrer ce prologue, deux crimes parfaits. Deux assassins. Deux victimes. Deux styles différents. Deux mobiles... ou le même ? New York. Le ciel est noir, si noir que l'Hudson River a pris une couleur d'ardoise. Il fait froid, et l'assassin grelotte depuis trente minutes dans sa Chevrolet. Il a arrêté le moteur, il n'ose pas allumer de cigarette par peur de se faire repérer, il n'ose pas sortir de sa voiture pour faire les cent pas. En face de lui, une villa de style californien, insolite sous ce ciel noir. L'homme est blond, en imperméable, d'apparence solide, la mâchoire carrée. Il fixe avec une attention soutenue l'extrémité de l'avenue, sursautant chaque fois qu'une voiture apparaît. Cet homme est un assassin qui a prémédité son crime et qui attend de l'exécuter. La victime arrive dans une petite voiture japonaise, rapide, nerveuse, et qui ralentit à peine devant la porte du garage automatique. C'est une femme, elle actionne une ouverture à distance et s'engouffre dans le garage de la villa dont le battant se referme aussitôt. Il est 18h 48. Dans sa Chevrolet, l'assassin surveille la pendule du tableau de bord. Il est nerveux car l'instant approche. Il a cinq minutes devant lui et, cette fois, il peut griller une cigarette, car ces cinq minutes vont lui paraître longues... et il ne risque plus d'attirer l'attention de sa victime puisqu'elle est à l'intérieur, au chaud, dans la grande villa californienne, vivante encore. 18h 49. L'assassin tire sa troisième bouffée de cigarette. (à suivre...)