Aux temps anciens, l?on raconte que dans un village reculé d?Algérie, un riche commerçant avait décidé d?aller en pèlerinage. Oh ! mes aïeux ! Jadis pour arriver sur les Lieux Saints, il fallait des années de marche à pied ou à dos de chameau ! Le vieux commerçant, qui était veuf, réunit donc ses trois fils et leur annonça : «Mes enfants, j?ai décidé de répondre à l?appel d?Allah et de me rendre en terre sainte. En raison de cela, je serai loin de vous pendant au moins trois ou quatre longues années. Avant de partir, je voudrais être tranquille à votre sujet. Ainsi, j?ai pensé construire à chacun un abri !». L?idée enchanta les trois fils qui applaudirent le projet ; l?aîné, qui était un grand paresseux et qui passait le plus clair de son temps à dormir dans les écuries, s?exclama : «Père, je voudrais que tu me construises une chaumière tout en paille ; dans un refuge pareil, si chaud et si confortable, je dormirai, me semble-t-il, à mon aise, durant ton absence !». Le puîné des garçons était si gros et si gras qu?il se déplaçait avec peine : «Moi, demanda-t-il à son père, je rêve d?une maison en chocolat avec une toiture bien solide de nougat blanc et avec surtout des portes et des fenêtres, en sucre d?orge ! Je n?aurai pas besoin de me déplacer pour les déguster et cela, me semble-t-il, me consolera de ton absence !». Le benjamin, qui était de loin le plus malin, demanda alors à son père : «Je voudrais que tu me construises une maison, hdid. Malgré tout, je me sentirai vulnérable et cela ne me consolera pas pour autant de ton absence !». Les deux grands frères pouffèrent de rire et surnommèrent depuis ce jour le benjamin «H?didouène». Avant de s?en aller au pèlerinage, le riche commerçant réalisa le désir de ses trois fils. En effet, ils eurent chacun qui, une chaumière de paille dorée et encore odorante qui, une maisonnette en nougat et chocolat appétissante qui, une forteresse en fer luisant au soleil. Le père alla de chaumière en maisonnette et en forteresse faire ses adieux et ses dernières recommandations à ses trois fils : «Méfiez-vous, enfants, répéta-t-il à chacun, méfiez-vous d?El-ghoula, la sanguinaire !». El-ghoula, ogresse très friande de chair fraîche, sévissait depuis des siècles dans la région. Souvent, elle sortait de sa caverne la nuit et grâce à son odorat très développé elle dénichait des jeunes gens qui s?étaient attardés à traîner le soir aux alentours du village ; parfois même, elle arrivait à les entraîner dans sa tanière et à les dévorer. El-ghoula, d?une grande force, mais d?une intelligence médiocre, vivait depuis la nuit des temps en compagnie de sa fille Aoura et semait la terreur dans la région. Les deux ogresses étaient non seulement très bêtes mais avaient en plus une vue faible ; malheureusement leur odorat les aidait à flairer, à des lieues à la ronde, la chair fraîche et cette faculté les rendait redoutables ! Un jour, El-ghoula, qui était allongée sur l?herbe à se réchauffer au soleil, entendit deux bûcherons bavarder. Elle les aurait bien dévorés ces deux-là, mais les gaillards étaient armés ; de plus, elle n?avait pas encore faim. Elle tendit simplement l?oreille. «Hier, le vieux commerçant est parti en pèlerinage», dit le premier bûcheron. «Ce qui est plaisant, répondit le deuxième bûcheron, ce sont les maisons qu?il a construites près de chez moi pour ses trois fils !». «L?une en paille, reprit le premier bûcheron, et l?autre en chocolat, El-ghoula n?en ferait qu?une bouchée !». Les deux hommes s?éloignèrent tout en conversant ignorant la présence de l?ogresse qui finit par s?endormir. La nuit était déjà tombée quand El-ghoula se réveilla : elle était tenaillée par la faim. L?odeur des bûcherons flottait encore dans l?air. Elle la suivit, reniflant de ses grosses narines le chemin pris par les deux hommes. Quand elle arriva au village, tout le monde dormait. Elle huma l?air bruyamment et s?avança découvrant bientôt les drôles de maisonnettes. D?un revers de sa grosse main, elle éparpilla la paille qui s?envola. Elle découvrit l?aîné des fils en train de dormir profondément. (à suivre...)