Résumé de la 18e partie n Par le rite de l'incubation, les défunts, même morts depuis longtemps, continuent à jouer un rôle dans la vie des familles. Ce rite complexe, comporte des ingrédients qui vont servir de moyen de communication, d'intermédiaire entre les vivants et le mort. C'est le «repas du mort», imensi n lmeyet ou, en arabe, ‘âcha lmiyet. Ce repas comporte des ingrédients obligatoires, c'est-à-dire nécessaires à la confection d'un repas courant, bouillie ou couscous : semoule de blé, huile d'olive, oignons, sel et un morceau de graisse. On peut, selon ses possibilités ou son bon désir, pour faire plaisir au mort, ajouter d'autres produits : pois chiches, fèves, œufs, viande séchée et salée, etc. A l'heure de la prière du crépuscule (maghreb), période à laquelle, selon la croyance populaire, le mort reprend vie dans sa tombe, on dépose les ingrédients sur la tombe, en disant au mort : «Voilà ton souper !» On peut aussi, au lieu de se rendre au cimetière, poser les ingrédients sur le toit de la maison ou a vécu le défunt, en prononçant également la formule : «Voilà ton repas» : l'âme du défunt, dit-on, rôde toujours autour de sa maison, il ne manquera pas d'entendre l'appel et de voir «son repas». Le lendemain, les ingrédients sont récupérés de bonne heure, puis utilisés pour confectionner le repas. La timsensit, la voyante ou le médium (derwicha) va le consommer pour être en transe et entrer en contact avec le défunt. Le rite est quelque peu différent dans les villes. Les ingrédients sont également déposés sur la tombe du mort ou alors dans un coin de la maison. Ici, on ne les fait pas cuire, mais on les remet tels quels à la timsensit. Elle va les toucher, au cours de la séance d'incubation, pour établir le contact avec le mort, puis elle les gardera. C'est en quelque sorte sa rémunération. On lui apporte également, si on se déplace chez elle, du café, du sucre, voire de la pâtisserie, à titre de cadeau de visite. Enfin, on lui remet une petite somme d'argent à titre de gratification. Dans les campagnes également, les gratifications existent : tout service rendu dans le domaine du surnaturel (exorcisme, acte de magie, etc.) doit être suivi d'une gratification pour avoir de l'effet. C'est le fameux melh' lyed, «sel de la main». Les ingrédients du repas ou le repas, s'il est cuit, est remis à la timsensit. Elle prend une cuillerée ou alors une pincée de semoule et la porte à la bouche. Elle invoque alors le défunt en l'appelant par le nom de sa mère : «Toi, fils ou fille d'une telle, réponds-moi, ta mère, ta femme, ta famille veulent t'interroger, veulent demander ton avis sur tel et tel problème.» Si le mort «répond» à la demande, la timsensit entre aussitôt en transe : elle pâlit, ses yeux se révulsent, ses mains tremblent, sa voix change. C'est d'abord un discours indirect, rapportant les paroles du défunt : «Il vous dit...», «Il vous demande...», puis elle prête sa voix au défunt qui parle alors en son propre nom. La voix même de la voyante est changée. La parole du mort peut être directe, celui-ci exprimant ses désirs et ses opinions, mais souvent, comme dans le rêve, elle est symbolique et nécessite une interprétation que la timsensit donnera plus tard. Dans tous les cas, on écoute le mort, on obéit à ses directives : ce serait trahir sa mémoire que de ne pas faire ce qu'il dit !