Résumé de la 14e partie n La famille de Salah a organisé un asensu, ou comme on dit, ailleurs, une tebyita, c'est-à-dire une séance de discussion avec le mort... Asensu est un mot berbère qui dérive du verbe ens (passer la nuit). Au propre, il signifie faire passer la nuit sur la tombe du mort à certains objets qui serviront d'intermédiaire pour établir le contact avec le défunt. Mais à une époque ancienne, il s'agissait pour une personne de passer la nuit sur la tombe du mort et de recevoir, en rêve, un message où le défunt donne des instructions aux vivants. Cette pratique, très ancienne, s'est perpétuée en Kabylie et dans d'autres régions ; elle est également attestée au Sahara, dans le Hoggar où les femmes vont dormir sur les adebni, les tombeaux antéislamiques, pour recevoir, dans leur sommeil, des nouvelles de leurs époux absents. Ce rite est également appelé, en Algérie, tebyat, cette fois-ci du verbe arabe biyyet, de même sens que asensu (faire passer la nuit). C'est un rite pratiqué exclusivement par les femmes, gardiennes des traditions millénaires, mais auquel les hommes peuvent assister. La femme, qui officie dans le rite, est appelée timsensit, nom d'agent de ens, ou, si on utilise le verbe biyyet, biyata. L'asensu ou tebyat était, en fait, une pratique autrefois répandue dans tous les pays du Bassin méditerranéen, notamment dans la Grèce antique. On a disposé, très tôt, dans ce pays, de sanctuaires où les dieux étaient censés répondre aux questions que se posaient les gens, par l'intermédiaire du dieu. On y recevait surtout les malades à la recherche de diagnostics, mais aussi de traitements et de remèdes. C'est le rite de l'incubation, d'un verbe latin, incubare, qui signifie «dormir dans le sanctuaire». Les temples les plus connus étaient dédiés à Esculape, le dieu de la médecine. Le rite consistait à passer la nuit dans le temple et à implorer, après avoir satisfait à certains rituels, le dieu pour inspirer le rêve thérapeutique. L'anthropologue allemand Carl Alfred Meier, qui a consacré un ouvrage à l'incubation dans la Grèce antique, décrit ainsi le rite : «Après certains rites purificateurs, des ablutions et des sacrifices préliminaires, le malade s'endormait sur son kliné, dans l'abaton ou l'adyton, ce qui veut dire ”le lieu réservé aux invités”. Le malade admis, tout restait suspendu à l'attente du rêve qui survenait pendant son sommeil dans l'adyton. La question de savoir si le rêve convenait ou pas était tranchée par le résultat, car, si c'était le bon rêve, le malade se réveillait guéri. Apparemment, il était toujours guéri si, dans le rêve, il était visité par Esculape. Le dieu apparaissait soit comme l'homme barbu de son image cultuelle, soit comme un jeune garçon. Il pouvait aussi être accompagné de son épouse ou de sa fille, Hygéia, ou encore sous la forme d'un chien ou d'un serpent. Sous l'une de ces formes, il touchait la partie malade du corps du dormeur puis disparaissait. Aux époques très anciennes, le malade serait incurable s'il n'était pas visité par Esculape la première nuit.» En Egypte, en Mésopotamie et au Maghreb, on recourait aussi à l'incubation pour prendre l'avis des morts sur des affaires terrestres. C'est ce rite qui s'est perpétué chez nous : on l'a seulement dépouillé de ses références païennes pour le rapprocher de la religion musulmane. D'ailleurs, un peu partout, l'incubation a été remplacée par la prière musulmane de l'istikhara ou prière de demande de conseil par l'intermédiaire du rêve. (à suivre...)