Patrimoine n Ayrad est une expression théâtrale qui revêt un aspect social et philosophique, dramatique et esthétique. L'Algérie – et en particulier la Kabylie ou certaines régions de l'Ouest – a fêté, vendredi, le 12 janvier, la nouvelle année berbère. Des festivités célébrées, ici et là, avec autant d'intensité que d'enthousiasme. Chaque région a fêté à sa manière le nouvel an et ce, selon ses traditions et son cérémonial. Mais le fait marquant dans ces fêtes, c'est bien le carnaval de Ayrad (Lion), une tradition séculaire perpétuée, de génération en génération. Il est de coutume, à Beni Snous, près de Tlemcen, de célébrer Yennayer à travers le carnaval de Ayrad. De petits groupes de jeunes gens (de 7 à 15 individus) se déguisent en animal. Public et protagonistes chantent et parcourent rues, passent d'un quartier à un autre, d'une maison à une autre, annonçant son arrivée. Tout le monde se livre en liesse à la procession. Sur la place publique, les carnavaliers, notamment les déguisés, redoublent d'efforts dans leur danse et leur chant. «Place ensuite au cérémonial autour d'une Lybya (Lionne) sur le point de mettre bas un petit, alors que s'organise une confrontation tonique et symbolique entre lions d'où sortira le grand Ayrad affirmant son leadership et sa paternité sur le lionceau fraîchement arrivé au monde», explique Kamel Bendimerad, spécialiste du 4e art. Et de poursuivre : «Au point culminant de ce déploiement dramatique festif et cathartique à la fois — les jeunes spectateurs s'en servent parfois comme tribune pour exprimer leur mal vie individuelle ou collective — se développe des scènes d'accueil dans des maisons dont les propriétaires doivent satisfaire au rituel des offrandes recueillies par le Qalmoun (collecteur de dons qui sont ramassés aujourd'hui en espèces au profit d'œuvres caritatives) sous peine d'encourir la malédiction et d'être frappés d'ostracisme sociale.» Ayrad, qui témoigne, comme le dit Kamel Bendimerad, de la profondeur de notre patrimoine historico-culturel, se veut plus qu'un carnaval, il est aussi une manifestation théâtrale d'importance. «C'est un spectacle tenant à la fois du carnaval et du théâtre de rue», précise Kamel Bendimerad, ajoutant que ce fait, qui est une représentation se déroulant comme une pièce théâtrale, comporte tous les ingrédients d'une expression théâtrale : personnages, costumes, histoire, trame, scénographie, décor, son (musique et chants)… Ainsi, Ayrad, qui revêt un aspect social et philosophique, dramatique et esthétique, «nous plonge dans la mémoire théâtrale algérienne», ce qui nous fait d'emblée dire que le théâtre existe en Algérie depuis bien longtemps. Il a une origine millénaire, d'où «l'urgence d'investir de manière systématique des périodes plus anciennes au cœur desquelles affleurent ou s'expriment ce que Jacques Lacarrière appelle les éléments pré/parathéâtraux», relève Kamel Bendimerad.