Réhabilitation n Mme Réjane le Baut, spécialiste de l'œuvre de Jean El- Mouhoub Amrouche, a animé, ce week-end, au CCF, une conférence sur le caractère intempestif et actuel de cet auteur algérien longtemps marginalisé. En guise de prélude à la découverte de cet esprit sensible et fraternel dont le nom figure au fronton de l'école d'Ighil-Ali, son village natal, depuis 1965, sous l'inscription commémorative «Ecrivain et patriote», notre conférencière s'est d'abord interrogée sur sa représentation dans la mémoire collective algérienne, s'attachant à rechercher, à travers l'itinéraire de l'écrivain, son identité réelle. Un écrivain à la stature littéraire visionnaire qui fut reconnu par des écrivains tels que Mohammed Dib, Kateb Yacine et Tahar Djaout. Réjane Le Baut mettra la lumière sur cet intellectuel libre dont la complexité de l'œuvre dévoile un parcours d'homme de culture riche et foisonnant. «Ce ne fut longtemps pour moi qu'une voix et une date, la figure sublime et moderne d'un Janus (figure mythologique représentée avec deux faces) souffrant qui symbolise l'ambiguïté», dit-elle à son sujet. Cette voix grave était celle d'un écrivain à l'aura mystérieuse qui transmettait à travers l'émission «Miroir du monde» de la radio suisse, à l'orée de sa vie, un cri de ralliement public à l'Indépendance de l'Algérie. Son ultime engagement à la lutte armée lui vaudra son licenciement de la radio française et sa rupture définitive avec sa belle-famille. A travers un exposé détaillé, R. Le Baut suit la trace tumultueuse de Jean Amrouche, depuis la publication de ses premières œuvres poétiques, ses débuts de critique littéraire à Radio Tunis, sa correspondance inédite, ses nombreuses conférences, ses amitiés intellectuelles jusqu'à sa prise de position politique en faveur de l'Algérie. «J'ai découvert l'homme indivisiblement algérien et français. J'ai eu la chance de rencontrer ses amis de jeunesse, des poètes de renom dont j'ai recueilli les témoignages», précise-t-elle. Avec un éclairage basé sur des données biographiques, elle tente de réconcilier les deux personnages antithétiques «Jean et El-Mouhoub» qui déchiraient le poète oublié. Celui qu'elle qualifie d'intempestif (un des deux thèmes de la conférence) de par sa dualité intérieure était un écrivain en avance sur son époque. Sa réhabilitation officielle tardive par le biais de l'hommage que lui a récemment rendu la BN en présence de son fils et de Rédha Malek est insuffisante pour la connaissance de l'homme ; elle le présente à travers les trois étapes de sa carrière controversée : son être et l'inspiration mystique : enfance pauvre, calvaire de l'exil à Tunis pour celui qui, a 16 ans, déjà, voulait écrire «l'Afrique immaculée» ; l'avoir ou la réussite sociale compromise à la fin par ses prises de position pour sa patrie naturelle. Il ne croit pas aux thèses de Camus sur l'Algérie et se rapproche de ses frères combattants comme Ferhat Abbas et Krim Belkacem : «Nous avons faim et soif d'un amour humain», écrit-il dans son journal intime. «Lire Jean El-Mouhoub Amrouche est un devoir de justice, de reconnaissance et de connaissance, il demeure un guide intellectuel pour nous», exhorte notre conférencière qui avait auparavant parlé du troisième point qu'elle a relevé dans l'itinéraire de l'écrivain : le devenir ou le réveil de «Jugurtha», thème à travers lequel se réalise la renaissance du poète qui souffrait de sa double fidélité, à sa société d'adoption qui avait superficiellement accepté celui qu'elle appelait «l'Africain». Dans cette optique, Réjane Le Baut a considéré la problématique – vécue par l'écrivain – comme une thématique actuelle.