L'œil est, dit-on, l'organe le plus précieux du corps humain. Le Prophète disait, dans un hadith célèbre, que celui à qui Dieu enlevait l'usage de ses yeux et qui faisait preuve de patience, Dieu le récompenserait par le Paradis. C'est dire l'importance des yeux et la peine qu'occasionne leur perte. L'œil, organe de la perception visuelle, est aussi un symbole universel de la perception intellectuelle. C'est, dans toutes les religions, le moyen d'accès à la spiritualité. Râ, le dieu égyptien du soleil, portait un œil brûlant, symbolisé par un cobra à la pupille dilatée, symbole de l'ouverture sur le monde intérieur. Les Egyptiens peignaient sur leurs sarcophages des yeux pour permettre au défunt qui s'y trouvaient enfermés de suivre les événements du monde. Les philosophes grecs parlaient de l'œil de l'âme : un œil intérieur, fixe, qui ne peut avoir qu'une perception globale des choses. Chez les Grecs encore, Plotin évoque l'œil de l'esprit qui est également un œil intérieur. Chez les soufis, les mystiques musulmans, il s'agit plutôt de l'œil du cœur, celui qui permet de s'ouvrir sur la spiritualité. Arrivant d'Andalousie au Maghreb, Abû Madian, le futur patron de la ville de Tlemcen, s'est rendu à Taghia, dans la montagne marocaine pour rencontrer le saint berbère Abû Yazâ Yalannour. Celui-ci, cherchant à l'éprouver lui ôte aussitôt la vue. Il accueille avec égards ses autres hôtes et lui le repousse. Il le laisse sans nourriture, perdu dans l'aube, toute la nuit, le temps qu'il médite sur le sens de la vie, et le matin, il lui suffit de lui caresser les yeux pour qu'il recouvre la vue : il découvre ainsi sa vocation de saint.