Au cours du généreux banquet qui leur fut ouvert, le jeune prince posa mille questions. Il demanda à ces hommes d?où ils venaient, quelles terres ils avaient parcourues, quelles mers ils avaient traversées, quelles marchandises ils transportaient et à quoi ressemblait le pays de l?autre côté de l?horizon. ? Nous avons navigué tout autour de la terre, répondirent les marins en se vantant. Nous avons acheté des peaux de rennes, des peaux d?hermines blanches comme la neige et d?autres de renards polaires. Si le vent continue de souffler dans nos voiles, nous serons bientôt arrivés sur l?île de Bayan, puis nous naviguerons vers l?est en direction de l?empire du grand roi Dhia. Mikad poussa un soupir et but une gorgée d?eau pour faire passer l?amère tristesse qui lui serrait la gorge. ? Bon vent, courageux marins ! dit-il enfin d?une voix ferme. Transmettez au roi Dhia les salutations cordiales du seigneur Mikad. Puis il accompagna ses hôtes jusqu?au port. Longtemps, il suivit du regard les voiles blanches du navire. Quand il les vit disparaître, les larmes lui montèrent aux yeux. L?une d?elles tomba dans la mer. Aussitôt le cygne blanc apparut sur les vagues. ? Pourquoi es-tu triste ? Lui demanda-t-il. Que regardes-tu à l?horizon ? ? Le navire qui a disparu au loin a emporté une partie de mon c?ur. J?aimerais retourner dans mon pays et voir le visage de mon père. ? Ne désespère pas, jeune et beau prince. Si tu veux, je te transformerai en moustique. Tu voleras jusqu?au navire tu te cacheras dans une fente de la coque et pourras retourner chez toi. Le prince accepta sans hésiter. Le cygne blanc déploya ses ailes, agita la surface de la mer et arrosa le jeune homme de quelques gouttes argentées. Le prince se transforma alors en un minuscule moustique qui s?envola en sifflant vers le navire. Le vent souffla dans les voiles, le bateau vola vers la terre ferme comme un oiseau blanc. Dès que les marins jetèrent l?ancre dans le port, des messagers arrivèrent pour les inviter à la cour. Peu de temps après, ils s?inclinaient devant le grand Dhia. Son trône était d?or, la salle de réception brillait des mille flammes de chandelles, mais les yeux du roi étaient plus sombres que le fond de l?océan. Les s?urs de la reine, la jalouse fileuse et la mesquine cuisinière, étaient assises près du trône. Oum El-Kheir se pavanait. ? D?où venez-vous ? demanda le roi avec gentillesse. Quels pays avez-vous visités, quelles mers parcourues, quelles merveilles avez-vous admirées ? Les marins racontèrent leur voyage et la plus étrange chose qu?il leur soit arrivée. ? Il y avait jadis, en pleine mer, une île déserte qui n?était rien qu?un amas de rochers au milieu des vagues. Et cette fois-ci, ô miracle, d?imposants remparts s?y élevaient vers le ciel. Il y avait un magnifique palais aux tours blanches et aux coupoles dorées. C?est là que vit le seigneur Mikad et sa douce et tendre mère. Sache, grand roi, que ce seigneur t?envoie ses cordiales salutations. Une lueur traversa les yeux du souverain. ? Je souhaiterais voir ce pays mystérieux avant de mourir, dit-il dans un soupir, et je rencontrerai avec plaisir le seigneur Mikad. Oum El-Kheir et les méchantes s?urs eurent un pressentiment. ? Tout cela n?est rien ! s?exclama la rusée cuisinière. Ecoutez quelque chose de plus merveilleux encore ! Quelque part, dans la forêt profonde, il y a un sapin, sous le sapin se trouve une grotte étroite, dans cette grotte vit un écureuil doré qui casse des noisettes dorées. Et dans chaque noisette dorée, l?écureuil trouve une émeraude grosse comme le poing ! A cet instant, le moustique tournoya autour de la tête de la cuisinière et la piqua à la paupière. Son ?il gonfla comme une pastèque mûre. La vieille Oum El-Kheir ôta sa chaussure et leva la main pour frapper le moustique, mais avant qu?elle n?ait eu le temps de l?écraser, il s?envola très loin de l?autre côté de la mer. (à suivre...)