Surprise Brahim a un choc en voyant son rival. C?est Moundher son cadet. Il reprend son gué derrière le gros palmier, et attend. Toute la palmeraie est noyée dans une fraîche pénombre. De temps à autre, un homme passe sur son chameau ou à pied, certains s?arrêtent et vont se rafraîchir à la source qui alimente les séguias, enlèvent leurs chèches et mouillent leur tête avec de l?eau froide. D?autres font leurs ablutions pour la prière du Maghreb, et reprennent la route vers la ville. Puis, un homme au visage caché sous son «nguêb» descend de son chameau à hauteur de la source. Il enroule le licou autour d?un palmier d?un geste négligent et après avoir lancé un regard à droite et à gauche, pour être sûr d?être seul, s?élance d?un bond vers le rocher. Sa silhouette est légère, mais de là où il est, Brahim ne peut le reconnaître? Le jeune homme cherche en vain le message, se penche pour regarder à terre, glisse à nouveau ses doigts sous la pierre? Brahim sort de sa cachette, en promeneur, décidé à démasquer son rival. - Salem aleïkoum ! L?homme sursaute légèrement et se retourne. - Salem ! Ah ! C?est toi, Brahim ? C?est Monder son cadet. - Que fais-tu là ? demande-t-il, la voix altérée par le choc. - Rien ! Je me repose un moment? Tu as les mains vides? N?es-tu pas allé au souk pour ramener le sucre et le thé ? La vieille va être mécontente ! - Non répond-il sèchement à son frère intrigué. J?irai demain ! Il tourne le dos et prend le chemin du labyrinthe. «Mais c?est peut-être mieux ainsi, pense-t-il, il est plus jeune que moi, et j?ai la priorité pour choisir ma fiancée et me marier? Je vais le prendre de vitesse et j?irai m?installer au nord à Ouargla ou à Biskra et éloigner Sabha de Monder? et elle finira par l?oublier, elle est si jeune, elle n?a que dix-sept ans, et Monder dix-neuf». Et les vingt-quatre ans de Brahim lui semblent pleins de sagesse et d?expérience? Le lendemain, il participe avec quelques hommes au chaulage du mausolée de Sidi Cherif, situé sur les hauteurs de Timimoun. Avec la chaleur, la chaux sèche aussitôt qu?elle est appliquée sur les parois, et le monument funéraire reprend sa blancheur immaculée. Les festivités de Sidi Cherif commencent. De grands plats de couscous sont déposés sur la place des ksour. Le thé coule à flots. L?odeur de la menthe parfume l?air, les discussions et les rires des hommes remplissent la place. Les vieillards, assis à part sur des nattes d?alfa, souriants, heureux de tout ce bonheur autour d?eux. De temps à autre, un enfant au teint foncé, vêtu, lui aussi, d?une gandoura blanche, vient se jeter sur les genoux de l?un d?eux, avant de reprendre son jeu interrompu... Puis, les hommes quittent la place par groupes et se dirigent hors des murailles, sur la grande dune qui borde la ville. Brahim, qui marche seul, les suit, le c?ur serré. Formant un grand carré, les «Ahellil» s?installent à même le sable, pour la «selka», la récitation du Coran qui va durer toute la nuit? Assis au milieu des hommes, Brahim ne peut se concentrer et, cessant de lutter, il laisse errer son esprit vers la séguia d?où il a vu disparaître Sabha, deux jours plus tôt, sa silhouette altière sous sa jarre pleine d?eau? Il regarde sans les voir les rangées d?hommes noirs sous les abeya et les chèches blancs brillant au clair de lune, balançant légèrement leur corps d?un côté puis de l?autre, débitant les versets dans une parfaite harmonie? (à suivre...)