Insolite n «C'est vrai que le Chef du gouvernement est à l'intérieur du restaurant ?», demande, incrédule, un jeune homme d'une trentaine d'années. «Oui». «Et il mange des brochettes ?» «Et il mange des brochettes.» Vendredi 11 mai, seizième jour de la campagne électorale, 13 h 30. Après avoir animé un meeting dans la matinée à Tizi Ouzou, le patron du FLN se dirige vers Biskra. Les rutilantes voitures de la Protection présidentielle avalent les kilomètres. Il faut faire vite, la capitale des Zibans est à plus de 400 km d'Alger et le retour est prévu dans la soirée. Arrivé à hauteur de la petite localité de Aïn Lahdjar, à 10 km au sud de Bouira, le cortège s'arrête soudainement. Personne ne comprend ce qui se passe d'autant que l'escale n'est pas prévue dans le programme. Abdelaziz Belkhadem descend, flanqué de ses proches collaborateurs et arpente un sentier en terre battue menant vers la petite mosquée du village. Il y accomplira la prière du vendredi. Il fait à la hâte ses ablutions et se fraie un chemin parmi les fidèles qui n'en reviennent pas. Ils s'attendaient peut-être à tout sauf à voir le Chef du gouvernement les rejoindre inopinément pour écouter religieusement l'imam qui, lui aussi, fixe l'invité surprise d'un regard interrogateur sans toutefois oser interrompre son prêche. Quelque 100 km plus au sud, précisément à Aïn Lahdjel, dans la wilaya de M'sila, même stupeur mêlée d'incrédulité quand Belkhadem et toute la délégation font irruption dans l'une de ces innombrables gargotes qui s'égrènent le long de la RN 8. La nouvelle fait vite le tour de la bourgade et, tandis que le chef du FLN et ses accompagnateurs dégustent les succulentes brochettes épicées qui font la réputation de la région, une foule de badauds se rassemble sur le trottoir d'en face, sous un soleil de plomb, pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une farce. «C'est vrai que le Chef du gouvernement est à l'intérieur du restaurant ?», demande un jeune homme d'une trentaine d'années. «Oui.» «Et il mange des brochettes ?» «Et il mange des brochettes.» La réponse ne semble pas satisfaire le curieux qui préfère voir de ses propres yeux l'illustre passager. Le chef de protocole règle la note et Belkhadem franchit le seuil du restaurant, salue furtivement la foule et s'engouffre dans sa 406 flambant neuve qui démarre en trombe. La viande de Aïn Lahdjel, déjà réputée, venait de gagner encore plus en notoriété. En dépit de sa qualité de Chef de gouvernement qui fait que les éléments de la Direction de la sécurité présidentielle ne le lâchent pas d'une semelle, Abdelaziz Belkhadem fait montre, partout où il passe, d'une modestie et d'une accessibilité à toute épreuve. A Aflou, qui l'a vu naître et grandir, il salue chaleureusement ses amis d'enfance et présente ses condoléances à la famille d'une vieille connaissance décédée dans la journée. Il en fait de même à Biskra où il tient à partager la douleur des proches de deux personnes décédées tragiquement dans un accident de la route survenu au moment où le cortège se dirigeait vers Batna, quelques jours plus tôt. Il rend visite également à la famille d'un responsable local du parti blessé dans des affrontements entre les fidèles de Saïd Barkat, tête de liste du parti et ceux du mouhafedh au niveau de la wilaya. Dans les nombreuses zaouïas où il s'est rendu, et dont il considère les chouyoukh comme «des leaders d'opinion incontournables», il ne trouve aucune gêne à manger dans le même plat que les autres invités, à la grande joie de ses hôtes. Stratégie électorale ou modestie naturelle de l'homme ? Les deux sans doute. En tout état de cause, de nouvelles mœurs s'installent irréversiblement dans la vie politique nationale.