Evocation n La langoustine, le mérou et la dorade ne trouvent plus de dégustateurs. Seul le petit port et le boulodrome continuent à nous faire aimer les lieux. «Eboueurs de la mer» nous a surtout permis de découvrir une station balnéaire qui, pour bon nombre de connaisseurs, aura perdu de sa superbe. Les petites villas cossues, laissées pour la postérité par des nostalgiques partis chercher rêveries ailleurs, restent les seuls témoins d'un passé fait de fantasia de mer, de sorties en vauriens et de grandes courses de voile. Dans le boulodrome de la petite ville, les cochonnets ont heureusement longue vie. On y vient par équipes jouer à la pétanque et au jeu long. Bien des champions avaient appris à aimer ce jeu ici. Le goût succulent du mérou, de la langoustine et de la dorade sur braise a cédé depuis longtemps la place à des m'hadjeb certes pimentés mais arrivés depuis peu par effraction. Et les restaurants aux fenêtres en forme de hublots, comme dans un voilier rutilant, ne trouvent plus les amoureux de la dégustation tant beaucoup de propriétaires, connus par leur savoir-faire légendaire et leur lien affectif avec la grande bleue dans la région ont préféré aller ailleurs, fermant ainsi la parenthèse d'une euphorie estivale longtemps entretenue par Tamentfoust. Heureusement qu'au port, connu pour son «Tarzan» qui jadis a rendu célèbre la région en faisant une mémorable traversée à la nage jusqu'au phare de l'amirauté, chalutiers, sardiniers et petites barques sont parés de leurs plus beaux atours pour une toile qui ne laisserait sans doute pas indifférent Hemingway. Une intense activité y règne. Sur le quai, le bourdonnement des moteurs et l'odeur du mazout contrastent avec le sifflement d'une volée d'albatros qui rôdent follement dans un ciel azur dégagé, le bec dirigé vers les petites vagues d'où un poisson pourrait éventuellement surgir. Le vent a perdu beaucoup de nœuds et c'est pour cette raison que les quelques adeptes de la voile, ou ceux qui restent des temps immémoriaux, ne s'aventurent pas à faire des sorties en mer. Sur le quai toujours, des pêcheurs avec leur légendaire imperméable jaune déchargent casier sur casier. C'est le deuxième arrivage après celui effectué à l'aube par une équipe partie chasser l'espadon jusqu'à Dellys, mais qui n'est revenue qu'avec une maigre moisson de mérous. Les premiers à être sur les lieux, ce sont les grossistes du poisson frais qui en font un commerce lucratif en s'assurant à eux seuls l'approvisionnement des quelques poissonneries d'Alger, de ses alentours et même des wilayas lointaines. Les prix, en fonction de la commande, sont fixés la veille, voire des jours auparavant et pour lesquels le groupe des pêcheurs prennent en considération plusieurs paramètres : le mazout, le temps passé en haute mer, la main-d'œuvre et surtout le mauvais temps qui peut même les contraindre à retourner au quai bredouilles, filets et moulinets affamés. Moins nombreux mais tout aussi exigeants, quelques propriétaires de restaurants choisissent les belles pièces et donnent l'air d'être de fins connaisseurs en laissant glisser tendrement les doigts sur les écailles des belles créatures prises dans les mailles des filets. Ces patrons, aux surnoms de légendaires matelots ayant bravé la fureur des océans, ne prennent que les meilleurs casiers. Les plus fournis surtout.