Logique n Il est dans l'ordre des choses qu'une région qui vit presque exclusivement du tourisme soit désertée à la suite de la dégradation de la situation sécuritaire. Lors de nos discussions avec les habitants et quelques responsables sur les raisons qui font que Béni Yenni n'arrive plus à retenir ses enfants qui sont de plus en plus nombreux à céder aux charmes de la ville, il ressort que le phénomène ne date pas d'hier même s'il a été accru par la décennie de terrorisme qui a frappé de plein fouet la région. «L'exil est une ancienne tradition dans ces contrées, à l'instar de toutes les régions de Kabylie. Jadis, les gens émigraient en France et vers les grandes villes du pays à la recherche de travail et de conditions de vie décentes. Moi-même, j'ai travaillé une trentaine d'années dans le nord de la France. Je ne suis rentré au pays que depuis une dizaine d'années», nous dit un autre septuagénaire qui a bien voulu nous accompagner à travers les ruelles du village pour nous permettre de constater «de visu l'état des lieux». Notre guide improvisé, nous l'avons rencontré après une dizaine de minutes d'attente au beau milieu du village, à la recherche de quelqu'un pour nous indiquer le chemin. Dix minutes, et pas âme qui vive. «Que se passe-t-il», demandons-nous au brave homme. «Comme vous voyez, nous sommes en juillet et une grande partie des maisons ont les fenêtres fermées. Elles ne sont pas habitées.» La transition ne pouvait mieux tomber. Notre interlocuteur enchaîne : «En période estivale, certains habitants originaires du village viennent y passer les vacances. Si vous étiez venus en hiver, vous auriez constaté que c'est presque un village fantôme.» Il tente une explication à l'ampleur prise par le phénomène depuis quelques années. Selon lui, il est dans l'ordre des choses qu'une région qui vit presque exclusivement du tourisme, soit désertée suite à la dégradation de la situation sécuritaire. Béni Yenni est réputée, en effet, pour ses ateliers de bijouterie. Ses colliers, bracelets et bagues d'argent attiraient des milliers d'acheteurs venus des quatre coins du pays, mais aussi des étrangers. L'auberge Le Bracelet d'argent ne désemplissait pas. «Il fallait réserver parfois plusieurs mois à l'avance pour y passer la nuit, notamment durant la fête du bijou», nous dit-on. Vers le milieu des années 1990, des groupes terroristes ont commencé à trouver refuge dans les maquis environnants. La route menant à Tizi Ouzou est devenue un véritable coupe-gorge, notamment au niveau de Takhoukht. Faux barrages, assassinats, embuscades contre les forces de sécurité, racket…, de quoi dissuader le plus intrépides des touristes. De nombreux artisans n'ont d'autre alternative que de mettre la clé sous le paillasson. Certains sont partis à l'étranger, d'autres se sont installés dans la capitale ou dans les villes environnantes (Tizi Ouzou, Aïn El-Hamma, Draâ Ben Khedda…). Leurs employés n'ont pas tardé à leur emboîter le pas ainsi que les pères de famille qu'ils faisaient vivre indirectement (commerçants, maçons, transporteurs…). Aujourd'hui, la région abrite certes l'une des dernières poches terroristes du pays. Cependant la situation s'est nettement améliorée depuis quelques années. Ce qui n'a pas pour autant persuadé les exilés à retourner au bercail. Selon des élus de l'APC que nous avons rencontrés, le relief accidenté qui fait que les assiettes de terrain sont rares ainsi que les lenteurs administratives et bureaucratiques rendent caduques toutes les mesures prises pour la stabilisation de la population. Un objectif sur lequel ils ont axé leur campagne durant les élections communales partielles de novembre 2005…