Mme Lonjubeau est une personne pleine de ressources. Elle en a vu dans sa chienne de vie, comme on dit. Demandez à ses meilleures amies, elles sont toutes d'accord. — Lucienne a toujours su se débrouiller. — Elle a commencé comme vendeuse à Paris, dans une parfumerie, jusqu'au jour où un monsieur très élégant et très riche est entré dans la boutique pour acheter un flacon de parfum, qu'il destinait à sa mère... Dès qu'il a vu Lucienne, ce fut le coup de foudre ! Et pour Lucienne aussi... — Il faut dire que ce pauvre Raymond était magnifique. En plus, il avait une situation dans l'import-export ! Riche à millions. — Et intelligent et affectueux ! — Quel dommage qu'il n'ait pas pu résister à l'attrait de l'alcool. — Et c'est ainsi qu'après vingt ans de liaison sans nuage, cette pauvre Lucienne s'est retrouvée veuve... Enfin, veuve de la main gauche bien sûr. Car jamais la vieille maman n'a voulu consentir au mariage. — Mais Raymond avait été très correct. Il avait pris ses précautions et Lucienne est restée propriétaire de tout ce qu'il avait installé dans l'appartement qui était à son nom. Une fois seule, Lucienne Lonjubeau se retrouve un peu perdue. Jusqu'à présent, c'était son amant de cœur, Raymond, qui dirigeait la barque, faisait les placements d'argent. Elle s'occupait uniquement de créer autour de l'homme de sa vie un havre de paix. Sans Raymond, Lucienne est désemparée. Une amie lui conseille : — Tu devrais aller voir une voyante. J'en connais une extraordinaire : Mme Herbelin. Elle habite près de la porte Saint-Martin. Et c'est ainsi que Lucienne Lonjubeau franchit le seuil de la pythonisse. Mme Herbelin est une femme charmante, entre deux âges, comme Lucienne. Du genre très bourgeois. Elle contemple la main de Lucienne et bat les tarots. — Tirez sept cartes sans les retourner. Lucienne fait ce qu'on lui demande. Elle bout d'impatience, mais elle n'ose pas poser de question. La voyante annonce : — Vous venez de connaître un grand chagrin. Un homme qui a beaucoup compté pour vous. Il vous adorait. Mais il est mort de maladie. On me dit «le foie». Lucienne approuve : — Oui, il est mort d'une cirrhose. C'était son vice... Mme Herbelin continue à examiner le jeu. Elle demande à Lucienne de tirer d'autres cartes : — Vous n'avez pas de problèmes d'argent. Je vois que ce monsieur qui vous adorait a pris soin de vous. Mais vous allez devoir vous séparer de beaucoup de choses, pour faire des placements qui rapportent. On me dit «tableaux, tapis, meubles». Ah ! je vous vois dans un château. Pas très loin de Paris, en Touraine peut-être : c'est ravissant. Vous y serez heureuse... — Croyez-vous que je puisse rencontrer quelqu'un d'autre ? — Franchement non ! Vous êtes très entourée. Vous allez ouvrir un commerce, de luxe. Mais vous vivrez avec tout un cercle d'amis, dans le souvenir de... Votre ami se prénommait «Raymond» ? Décidément, Mme Herbelin est extraordinaire. Bon ! L'avenir, somme toute, s'annonce sinon heureux, du moins confortable : un château en Touraine. Joli prix de consolation... Effectivement Lucienne Lonjubeau se met en relation avec un commissaire-priseur. On fait l'estimation des tableaux, des tapis, des meubles. De superbes pièces. Le commissaire-priseur, maître Morelat, annonce : — Chère madame, tout cela doit faire l'objet d'une vente à la galerie Charpentier. Toute la clientèle du faubourg Saint-Honoré sera là. (à suivre...)