Vladimir Menchkov est un déraciné, un Russe blanc que la révolution de 1917 a chassé hors de Russie. Que-faisait-il là-bas ? — J'étais, dit-il, le chauffeur d'un prince. J'avais un uniforme blanc et des bottes de cuir rouge. Vladimir a traîné sa bosse. La vie n'a pas été drôle pour lui. Arrivé en France, il a connu la prison pour de petits délits. Un jour, il a décidé: — Je vais entrer dans la Légion. La Légion étrangère, le refuge des hommes perdus. L'endroit où personne ne vous pose de questions indiscrètes. Le corps d'élite qui fait des malfrats des hommes d'honneur. Le rachat de toutes les erreurs. Quand on est dans la Légion, on a l'occasion de connaître de grandes amitiés : c'est ainsi que Vladimir, après quelques mois, devient l'inséparable copain d'un certain Valentin. Ils découvrent qu'ils sont nés le même jour : — On est un peu comme des jumeaux. Il paraît qu'en astrologie c'est très important. Valentin répond : — C'est pour ça qu'on s'entend si bien. Des jumeaux, c'est inséparable, ça a le même destin. Entre nous ça sera sans doute à la vie, à la mort. Valentin ne croit pas si bien dire... Quand on est légionnaire, on bénéficie du prestige de l'uniforme. Vladimir et Valentin, inséparables, sortent souvent ensemble en permission. Ils ne détestent pas aller dans un bal pour faire admirer leurs képis impeccables, leurs chemises aux plis soigneusement repassés. Même si le légionnaire a parfois une tête patibulaire, les filles sont sensibles à l'uniforme. — Vladimir, t'as vu la blonde, là-bas ? Pas mal. J'ai l'impression qu'elle nous regarde. Pour toi ou pour moi ? — Comme tu veux, Valentin. On la fait à pile ou face. — D'accord. C'est Vladimir qui tire le bon côté. Il avale une gorgée de bière et se dirige vers la blonde. En s'approchant il se dit : «Ce n'est plus une jeunette mais elle a sans doute plus d'expérience qu'une gamine.» Vladimir et la blonde, une certaine Josiane, vont valser. Valentin les regarde. Est-il jaloux ou heureux de voir que «les affaires marchent» pour son copain ? Les choses iront plus loin qu'une simple soirée au baI. Vladimir et Josiane s'accordent si bien ! On ne fait pas encore de projets mais, il n'y a pas de doute, Vladimir est bien accroché. Valentin se console avec une petite boulotte qui rit tout le temps. Et puis, le temps passe, Vladimir surprend un jour «sa» Josiane dans les bras de Valentin. Aucun doute sur le style de leurs rapports. Il pourrait pardonner, mais Josiane lui annonce : — Bon, puisque tu es au courant, autant te mettre les points sur les «i». J'aime Valentin. Excuse-moi, Vladimir : toi et moi, c'était une erreur. ?a n'aurait pas marché encore longtemps. Je suppose que tu ne veux pas de détails... Fin de la belle histoire d'amour du légionnaire slave. Aujourd'hui, Vladimir a quitté la Légion. Il touche une petite retraite mais il n'a pas réussi à se fixer dans la vie. Pas de femme, pas de foyer. Il va d'hôtel meublé en garni sordide. Parfois, quand il a tout dépensé pour boire, il dort sous les ponts. — Tiens, voilà Vladimir ! Arrive ici, mon pote. Tu veux un coup de rouge ? Vladimir s'avance vers le groupe de pauvres hères qui se serrent autour d'un feu. Des traverses de chemins de fer font une belle flambée : — Vladimir, approche, fais-les-nous voir ! Il semble que tout le monde sache de quoi il s'agit : — Oui, fais-les voir ! Ils sont toujours en place, dis ? Vladimir s'assied sur le sol. — D'accord, je vais vous les montrer, mais d'abord, envoyez la bouteille. (à suivre...)