M. Sainte-Croix, l'apothicaire de Châteaunoir, est occupé dans son laboratoire. C'est l'heure où il prépare les poudres «magistrales» commandées par ses clients. Comme la pharmacie est ancienne et comme nous sommes en décembre 1929, le poêle ronronne doucement. Soudain, un fracas détourne l'attention de M. Sainte-Croix. — Tiens voilà le tuyau du poêle qui fiche le camp ! C'est bien le moment. Juste quand je suis dans les préparations ! M. Sainte-Croix, délaissant un instant ses dosages, saisit le tuyau de tôle qui a roulé sur le sol de tommettes anciennes et le remet en place... Puis il retourne à ses balances de précision. Dans les dix minutes qui suivent, un nouveau fracas le fait se retourner. Le même morceau de tuyau du poêle est encore tombé à terre : — Mais qu'est-ce qui lui arrive, à celui-là ? ?a fait vingt ans qu'il est en place et le voilà qui se met à jouer les filles de l'air ! M. Sainte-Croix, pour la seconde fois, replace l'élément de tuyau. Cinq minutes plus tard, le même élément, pourtant solidement enclenché dans deux autres, retombe au sol. Du coup, M. Sainte-Croix, agacé, prend l'élément rebelle et le pose sur un meuble tout proche. Puis il reprend ses occupations. En tout cas, il essaie car, une fois sur le meuble, le tuyau, Dieu sait comment, retombe une nouvelle fois. M. Sainte-Croix, avec un petit «ah !» agacé, le remet sur le meuble. Mais non, décidément, pour une raison mystérieuse, le tuyau ne veut pas tenir en place. Ni au-dessus du poêle où il résidait depuis si longtemps, ni sur le meuble pourtant parfaitement plan. Gertrude, la jeune bonne de M. Sainte-Croix, arrive et demande à son patron à quelle heure il désire que le dîner soit servi : — Comme je vois que vous êtes lancé dans vos préparations, si jamais c'est un peu long... nous sommes mardi, j'ai fait des endives au gratin ! — A huit heures, comme d'habitude. Merci, Gertrude ! Gertrude sort du laboratoire. En sortant elle claque la porte, une habitude que M. Sainte-Croix n'est jamais parvenu à lui faire abandonner : — Gertrude, ne claquez pas les portes comme ça. Je vous l'ai dit cent fois ! Ce soir, c'est le bouquet. Gertrude n'y est pas allée de main morte. Toute une série de boîtes de pastilles se retrouvent par terre. A côté du tuyau du poêle qui semblait n'attendre que ça. M. Sainte-Croix, de plus en plus énervé, interrompit ses dosages pour remettre tout en place, les boîtes et le tuyau. Il n'est pas au bout de ses peines : avant que ne sonnent à l'horloge les huit coups qui annoncent le dîner, les mêmes boîtes de médicament vont encore sauter à terre. Littéralement. Et toujours en compagnie du tuyau de poêle. Nous ne sommes pas à l'époque où de gros camions ébranlent les maisons, en passant sur les routes toutes proches. M. Sainte-Croix n'envisage même pas qu'un léger séisme puisse ébranler sa pharmacie : ce n'est pas le genre de la région. Alors, il remet tout en place une dernière fois et il n'y pense pas davantage. Jusqu'au jeudi, deux jours plus tard. — Ah ben, ça alors, c'est un peu fort ! Alors qu'il est dans son laboratoire, deux bocaux à pharmacie (deux bocaux anciens ornés de titres latins en lettres dorées) tombent sur le carrelage et se brisent. Gertrude, appelée à la rescousse, vient balayer les morceaux et en profite pour dire, un peu acide : — Monsieur ne pourra pas dire que c'est moi qui ai claqué les portes. J'étais partie au marché. Le lendemain vendredi, ce sont six nouveaux bocaux qui se fracassent au sol. Heureusement, ils étaient vides. Mais quand même, c'est incompréhensible ! (à suivre...)