Tristesse Bahia se sent seule entre sa belle-mère et sa belle-s?ur qui s?apprêtent à accueillir dans la joie le nouveau bébé. Il lui faut un long moment pour se ressaisir et retrouver un semblant de sérénité. Elle se lève de son lit où elle s?était jetée, pour pleurer sur son sort, mais pas une larme n?a coulé de ses yeux. «Ce n?est pas le moment de pleurer, se dit-elle, il faut faire quelque chose, je dois encore essayer de vaincre cette stérilité inexplicable. Tous les médecins m?ont dit que je suis en bonne santé, et apte à enfanter.» Elle s?approche de la grande glace de sa coiffeuse et se regarde longuement. «Que me manque-t-il, mon Dieu, n?ai-je pas le droit d?être heureuse, moi aussi ? Qu?ai-je fait de mal ?» Sa gandoura bleu pâle à la taille haute élastiquée, ornée d?une légère dentelle sur tout le buste, rehausse son teint mat. A ses poignets brillent de fins bracelets d?or à la mode tlemcénienne. «Non, je ne dois pas montrer ma tristesse, ça leur ferait plaisir?». Elle ouvre son petit coffret incrusté de nacre et prend un tube de rouge qu?elle étale soigneusement sur ses lèvres. Le lendemain, sur sa demande, son mari l?emmène chez sa mère pour y passer la journée. ? Salue-la pour moi, lui dit Ouardia du bout des lèvres, visiblement mécontente. Dès qu?ils referment la petite porte de fer forgé, Bahia réajuste son haïk sur sa tête et dit à Omar, d?une voix suppliante : ? S?il te plaît, Omar, je voudrais d?abord aller à Sidi Boumediene, pou y allumer une bougie ! Je vais faire «eniya» et demander à Dieu d?«ouvrir ma ceinture». Omar refuse d?abord, mais elle insiste tant, qu?il finit par accepter. Ils longent les rues tranquilles, traversent côte à côte la place Emir Abdelkader. La porte de Djemaâ el-Kebir est grande ouverte, et ils aperçoivent, en arrivant à sa hauteur, le célèbre lustre aux cent bougies, au milieu de la salle de prière, trônant au-dessus d?une forêt de colonnes de marbre. Un vieillard, vêtu d?une djellaba blanche, ôte ses babouches sur la marche séculaire de la porte et pénètre lentement dans la mosquée. Le village d?El-Eubbad, où se trouve le mausolée de Sidi Boumediene, n?est pas loin et les deux époux décident de s?y rendre à pied. Bahia est contente. ? Ce sera pour nous une belle promenade, j?ai tellement besoin de me changer les idées ! (à suivre...)