Faits n Il ne se passe pas un jour sans qu'on lise dans les colonnes de la presse des informations annonçant que des dizaines de jeunes, voire des centaines, ont été interceptés au large de la Méditerranée. Ces jeunes, sans visa ni passeport, affrontent la mer avec tous ses risques et dangers, espérant atteindre l'autre rive. Surnommés «harragas», ils défient tout, même les lois de la nature, bravant les vagues des hautes mers. Hiver comme été, ils attendant le moment propice, le feu vert, la moindre baisse de vigilance des gardes-côtes, pour prendre la mer vers les côtes italiennes ou espagnoles, ils disent que là-bas ils pourront trouver ce dont ils ont été privés ici, «faire renaître un espoir de ses cendres». Pour eux, cet espoir se trouve ailleurs. Les uns mettent à l'index le chômage, l'oisiveté, d'autres la mal vie en général, cherchant un autre mode de vie plus souple, compatible avec leurs aspirations. Bref, une vie décente. Ils sont devenus, à force de penser et de calculer pour ce voyage tant espéré, otages d'idées et d'illusions parfois sans issue. Le mot «harragas» signifie littéralement «brûleurs», ou ceux capables de tout griller. Apparu il y a bien des années, ce terme désignait, tout d'abord ceux qui «se cachaient dans les moteurs, dans les cales des bateaux ou dans des conteneurs», dans l'espoir d'arriver en Europe, peu importe le port. Le terme a fini par allonger la longue liste du vocabulaire en rapport avec la détresse des jeunes. Bien calculés, les points de départ de ces «va-t-au suicide» sont soit à l'est du pays proche des îles italiennes, ou à l'ouest du pays proches des côtes espagnoles. Dans l'espoir d'atterrir sous «des cieux plus cléments», ils mettent en œuvre tous les moyens dont ils disposent et c'est bien peu de choses en vérité : des vêtements pour affronter et résister au froid glacial de la Méditerranée et aux chaleurs de la journée, de l'eau, des denrées alimentaires et… des gilets de sauvetage. Le puzzle est constitué. N'y manque que l'embarcation de fortune à bord de laquelle ils négocient âprement leur place avec les passeurs. Mais la patience ce n'est pas, assurément, ce qui manque à ces jeunes désespérés. Une fois en haute mer, ils perdent leurs repères et se retrouvent face au danger ; la raison balaye les dernières illusions et fait place aux regrets et à la prise de conscience du risque pris. Leurs vies étant menacées, l'espoir de revoir leur pays se mesure alors à celui d'atteindre les côtes du «Nord». «Les bouteilles jetées à la mer», contenant des lettres émouvantes, destinées à leurs familles, indiquent la situation dans laquelle ils se trouvent dans ces moments tragiques et les interminables réminiscences qui les torturent.