Adrienne Pertinaux se réveille de bonne humeur ce matin-là. Elle s'étire dans le lit. A son côté, son mari, Joël, dort encore. Adrienne résiste à l'envie de le réveiller. Mais Joël ouvre un œil. — Alors, chérie, as-tu bien dormi ? — Comme une bûche ! Et tu sais... Joël sait. — Tu as encore rêvé de ta maison ! — Oui, je me suis encore retrouvée dans cette villa. Elle est très belle, avec un joli parc et des parterres de fleurs. Il y a un bassin avec des poissons rouges juste devant. Et je me promène toujours dans la même pièce : une sorte de salon. Il y a une console en bois doré et sur la console une statuette : un bronze. Très beau. C'est un hercule, barbu, revêtu d'une peau de bête. Avec une grosse massue à la main… — A mon avis, si tu retournes si souvent dans ta villa de rêve, c'est parce que tu as le béguin pour cet hercule ! — Que tu es bête, c'est une statuette qui doit faire quarante centimètres de haut, au maximum ! D'ailleurs, j'ai remarqué que le socle en marbre est abîmé. Un des coins est écorné. Voici plusieurs mois qu'Adrienne Pertinaux fait ce rêve. Un rêve récurrent, comme dit son médecin. Car elle a consulté son médecin de famille pour savoir si ces voyages perpétuels dans une villa si extraordinairement présente n'indiqueraient pas une petite fatigue. Un petit dérangement mental ? — Mais non, chère madame. Peut-être, dans votre enfance, avez-vous eu l'occasion de visiter cette demeure. Elle aura frappé votre imagination enfantine et puis vous avez tout oublié et maintenant cette maison revient vous hanter. Simplement parce que vous arrivez à un âge où beaucoup de personnes rêvent de devenir propriétaire d'un petit «chez-soi». Adrienne n'est qu'à moitié convaincue. Elle explique à Joël et à ses amies les plus intimes : — Ce qui est incroyable c'est que, de rêve en rêve, je retrouve les mêmes pièces, les mêmes meubles. Parfois, j'ai l'impression de présences humaines. Comme si quelqu'un, une femme ou deux, habitait cette maison. Mais je ne les vois jamais distinctement. Simplement des silhouettes qui disparaissent par une porte, des ombres sur le mur. Jamais un visage de face. Parfois un reflet dans un miroir... Joël conclut : — Après tout, peut-être que cette maison existe vraiment. A ton avis, dans quel coin pourrait-elle se trouver ? Est-ce qu'elle est même en France ? — Oui, j'ai l'impression qu'elle est en France. Je ne sais pas trop pourquoi. La manière dont elle est décorée. C'est sans doute une maison d'été, ou bien d'un pays tempéré. Pas la Méditerranée. Au-dehors, le soleil n'est jamais violent. Il fait beau mais il passe des nuages. Et puis, je n'entends pas de cigales... — Ah, alors, s'il n'y a pas de cigales ! Ça ne sent pas le varech par hasard, ça pourrait nous aider ? Adrienne décoche un petit coup de poing à Joël. Elle déteste qu'il rentre dans son jeu pour piétiner son rêve... Quelques mois plus ta¦d, Joël revient du bureau avec un pli bien creux entre les deux yeux — Quelque chose ne va pas, chéri ? — Eh bien, oui et non. La direction me propose un poste plus important. Avec un salaire qui augmente de près de vingt pour cent. Adrienne saute au cou de son mari : — Mais c'est merveilleux ! A nous les Hispanos ! Avec vingt pour cent de salaire en plus je sais déjà tout ce qu'on va pouvoir s'offrir. — Oui, mais il y a un revers à la médaille. Ce poste concerne la province et il va falloir quitter Paris… — Ah bon ? Et pour où ? — Pour La Rochelle. (à suivre...)